
A l’occasion de la fashion week parisienne, nous avons rencontré Paul-Emmanuel Reiffers, Président Fondateur du Groupe Mazarine. Interview.
Quels sont les essentiels à savoir sur les défilés ?
Paul-Emmanuel Reiffers : La fashion week, ce sont avant tout des marques de mode qui présentent leurs créations. Ce qui est particulier, c’est que la mode est un univers à part entière dans lequel la notion de « marketing » n’existe pas. Ici, on parle de Directions Artistiques intégrées qui font les tendances de demain. Les Maisons se doivent d’être innovantes : et quand on innove en permanence, on ne peut pas se permettre de construire du marketing. On doit se concentrer sur la désirabilité. Lors d’un défilé, une Maison doit être un précurseur. Or le marketing analyse le passé et éventuellement le présent. Un défilé permet d’exprimer une folie, d’appuyer là où la marque est la plus forte. Les fashion weeks sont des événements réguliers, des rendez-vous qui reviennent 4 à 6 fois par an pour les plus grandes marques. Les défilés ne doivent pas être conventionnels, ils deviennent des plateformes de production de contenus qu’il faut alimenter. Ce n’est pas non plus un moment institutionnel. Il s’agit de faire passer des messages par des produits, d’indiquer une tendance pour la marque. Il ne faut pas oublier qu’avant toute chose, un défilé doit vendre des produits. Ce qui fait rêver, c’est de s’imaginer porter les vêtements présentés.
Comment le digital et les nouvelles technologies ont-ils révolutionné le rapport des marques aux défilés ?
P.-E. R. : Les défilés permettent une visibilité mondiale aux marques. Il faut exprimer une dynamique, les créations et une direction artistique. Un défilé, c’est un tout : il y a les modèles, mais aussi la musique, la production et toute la mise en scène. C’est extrêmement important. Le rayonnement de l’événement, du fait de la télévision et d’internet, est très fort. Le digital est un relais capital, car les images circulent dans le monde entier suite à un défilé. Quand on voit la conversation générée par rapport à l’achat d’espace publicitaire, c’est extraordinaire. C’est évidemment lié aux canaux de diffusion, mais aussi à l’intérêt croissant des consommateurs dans le monde. Tout aussi exclusif que soit un défilé, le nombre d’invités ne correspond pas au nombre de spectateurs. Il faut inviter toute la presse, les meilleurs acheteurs et les influenceurs pour assurer une répercussion maximale. Le but a toujours été de véhiculer des images auprès du grand public. La seule chose qu’a permis Internet, c’est de faciliter l’accès aux défilés. Tout est disponible en live, très rapidement. L’autre différence, c’est qu’auparavant seules les grandes marques avaient accès à la télévision. Internet représente l’opportunité pour les autres marques d’être présentes. Les nouvelles technologies ont évolué et nous aident à faire des événements spectaculaires, des choses de plus en plus complexes. Mais la mise en scène ne sera jamais plus importante que la collection. Il faut une qualité, la mode est une industrie.
Quels sont les enjeux pour les marques ?
P.-E. R. : Il y a énormément d’enjeux pour les marques lors des fashion week. Financiers, notamment. Un défilé, c’est l’occasion de se projeter, d’expérimenter de prendre des risques. Il faut pouvoir émerger et se distinguer, et la concurrence est multiple. Il faut profiter de ce terrain d’expérimentations pour montrer ce qu’il y a de plus créatif. Ce n’est pas qu’un show, il y a des retombées et des critiques. On sait qu’il y a une grosse pression sur les défilés, il y énormément de tension. Les gens s’exposent complètement. C’est très personnel : une mauvaise critique est d’autant plus dure à gérer et à vivre. Pour une marque, il est important d’avoir une grande capacité à se renouveler, tout en restant juste. La capacité à se renouveler d’un Lagerfeld est exceptionnelle, mais on peut tout aussi bien être touché par un jeune créateur qui réussirait à créer un défilé extrêmement fort et impactant. Tout n’est pas qu’une question de moyens. La magie de la mode, c’est la nouveauté. On est excités par des choses nouvelles : pas par l’intemporalité ! On vit dans le présent, on a envie de voir ce qui est nouveau ! Il faut pouvoir justifier l’achat et rassurer le consommateur, mais finalement on achète plus un beau produit qu’un patrimoine. C’est l’objet et la tendance qu’il représente qui importent. Enfin, malgré tous les enjeux, la fashion week ne peut pas influencer l’état d’une marque sur le long terme. Si vous ratez un défilé, vous allez certes faire moins de vente et vous confronter à des critiques sur la collection. Mais 6 mois après, vous avez un autre événement.
Comment se passe l’organisation d’une fashion week ?
P.-E. R. : La fashion week est une marque à part entière. Cela engendre un tel dynamisme économique que tous les pays rêvent d’en avoir une. Mais ce n’est pas quelque chose qui peut se créer du jour au lendemain. C’est très engageant en termes de ressources, pour les agences qui organisent les défilés mais aussi pour les Maisons qui doivent présenter de nouvelles collections. Celle de Paris est la plus grande du monde. Paris, c’est le moment clé, le centre du monde pour la couture. On a cette légitimité et les Maisons qui vont avec. Pour imaginer une fashion week en Chine par exemple, il faut réinventer un modèle : présenter des créateurs locaux, avoir des invités français… Un défilé se pense en collaboration avec les créateurs. La seule chose à retenir, c’est qu’il faut travailler parfaitement. Aucune erreur n’est permise. Or, tout est dépendant d’énormément d’éléments. C’est pour cela que les partenaires des Maisons sont très peu nombreux : il faut une vraie expérience. En France, il y a trois ou quatre sociétés de production de mode. Il faut former les équipes de zéro : c’est impossible de prendre des gens de l’extérieur. Il y a tout un background culturel à acquérir, qui n’est pas une question de niveau scolaire mais de passion. Il faut pouvoir être très flexible, c’est vraiment un rythme particulier. Vous passez des semaines entières sur des projets, week-end et nuits compris. Pendant la fashion week, il ne faut pas s’attendre à dormir plus de 3h par nuit. C’est un métier de passionnés, il y a une addiction dans ce milieu. Et pour travailler avec les meilleurs, il faut toujours être les meilleurs. Ça nous permet d’avoir une vraie connaissance, un savoir-faire à part entière. Nos clients nous écoutent d’autant plus.
Pouvez-vous nous raconter les collaborations avec les créateurs ?
P.-E. R. : La collaboration est unique d’un créateur à l’autre. Chacun a plus ou moins besoin d’accompagnement, et notre niveau d’intervention diffère en fonction. Le créateur présente sa collection, nous créons le concept, l’histoire. Ça peut aller jusqu’au casting sur certains défilés, c’est très impliquant. Sur un défilé, c’est vraiment le créateur qui est à l’origine de tout. C’est aussi une autre des particularités du luxe : les gens aux commandes sont là pour 10 ou 20 ans. Et heureusement : ça impose un caractère, une cohérence et un style. Personne n’a envie de travailler avec une Maison dont le créateur change tout le temps. Dans notre structure, La Mode en Images, nous accompagnons aussi beaucoup de jeunes créateurs qui n’ont pas les moyens de s’offrir de beaux défilés. Nous les aidons beaucoup, et cela nous permet de construire des relations privilégiées sur le long terme. Un créateur, vous ne le trouverez nulle part ailleurs.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a le plus marqué au cours de cette fashion week ?
Parmi les nombreux défilés des derniers jours, 4 m’ont particulièrement marqué. Le défilé Valentino dans les salons particuliers de l'Hôtel Salomon de Rothschild, et l'hommage rendu par le duo italien Chiuri et Piccioli à la Russie, et à la peinture de Chagall notamment. Je n’oublierai pas non plus celui de Bouchra Jarrar, la créatrice française indépendante la plus suivie des défilés. Un défilé très contemporain et urbain présenté de façon très intime dans un petit hôtel particulier du XVIème arrondissement. Le défilé La Perla Atelier également qui a eu un très grand succès avec la présence de Naomi Campbell sur le podium. C’est toujours un événement de la voir défiler. Enfin, pour la fashion week Homme, je retiendrai le défilé de Rick Owens, sans pantalon, et sans caleçon), qui a été aussi l'un des plus commenté sur les réseaux sociaux…
Défilé Valentino :
Défilé Bouchra Jarrar :
Défilé La Perla Atelier :
Défilé Rick Owens :
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