
« Les drames dans la vie nous rendent autistes ou excessivement bavards » : l'artiste franco-chinoise Li Chevalier revient sur sa jeunesse, ses racines, ce qui l'a poussée vers l'art...
Pouvez-vous nous confier un souvenir de votre jeunesse dans la Chine de Mao Tsé-Tung ?
A cette époque il était hors de question de s'attacher au beau et de s'interroger sur l'émotion esthétique. Cet assaut contre le beau n'épargna pas non plus la sphère privée des Chinois. Jusqu'en 1982, la méfiance à l'égard de la beauté amena même les inspecteurs d'écoles dans les classes et pas seulement pour contrôler leur style vestimentaire. Mon père fut ainsi contraint de transmettre à l'inspecteur un dossier photographique de ma petite sœur démontrant que les sourcils de sa fille n'avaient pas été maquillés et qu'elle n'était pas contaminée par les idées et la sensibilité des bourgeois…
Trouvez-vous que Pékin, votre ville d'origine, a évolué depuis votre départ sur les questions de la liberté d'expression ?
J'ai quitté la Chine en 1984 et j'y ai réinstallé mon atelier dans le quartier 798 art zone en 2007. Après plus de 20 ans d'absence, j'ai été frappée par des bouleversements de tous ordres. Grâce à internet et aux réseaux sociaux se sont répandues une liberté de parole incomparable avec mon époque et une diversification des canaux d'information qui ont remplacé les haut-parleurs qui diffusaient dans mon enfance une voix unique. Des progrès certains, en particulier dans les conversations touchant aux mœurs et à l’environnement ont été faits mais ils ne peuvent encore, bien entendu, se comparer à ce que j’ai expérimenté en France ou ce que l’on peut encore connaître à Hong Kong aujourd’hui.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a orienté vers la création ?
Deux « coupables » m'ont orienté vers la création. La vie et mon hyper réactivité / ma sensibilité. Les drames dans la vie nous rendent autistes ou excessivement bavards. Un chien battu mord, une violence subie fait naître des tensions, des pathologies et parfois de véritables sublimations. La création comme voie de libération est dans ce sens une restitution de notre expérience vitale : devant une feuille blanche, un canevas vierge, avez-vous des choses à dire ? L'art pour moi est un cri, de joie ou de douleur, qui s’impose à moi.
Votre œuvre se situe entre l'Orient et l'Occident et entre l'abstrait et la figuration, cet "entre-deux" résulte-t-il selon vous de votre double nationalité ?
Je mène une vie de nomade et j'ai entrepris des séjours prolongés pour des raisons artistiques ou familiales dans des pays aussi divers que le Royaume Uni, l’Italie, le Japon, l’Indonésie et plus récemment, le Moyen-Orient. Ces rencontres laissent naturellement leur empreinte dans mes travaux. A noter toutefois que sur le plan stylistique la semi-abstraction est une vieille tradition chinoise. Ces multiples expériences me poussent à conclure que la rencontre et le dialogue sont le meilleur remède contre la méfiance, la haine et l'intolérance.
Pouvez-vous nous donner la définition du Gao Ya et votre façon de l'interpréter dans votre art ?
Gao en chinois signifie élever. Ya signifie sobre. La langue chinoise a ainsi associé le goût esthétique élevé à la sobriété et à la simplicité. A l'opposé, les mots Yan (coloré) et Su (populaire et vulgaire) sont associés. On constate une prédilection des artistes chinois, surtout de l'école de peinture des lettrés pour l'univers du noir et blanc. Pour cela, je renvoie ceux qui connaissent la langue chinoise au livre d'un auteur taiwanais, Shi Wuo Cheng "Peinture observée philosophiquement : dix leçons sur la peinture à l'encre de Chine ". Entre la simplicité des traits, l'intensité du noir et ses déclinaisons de gris, il y a ici de quoi construire tout un univers symbolique capable de raconter nos joies et nos peines…
CultureSecrets vous invite à une visite privée de l'Atelier de Li Chevalier en présence de l'artiste le samedi 14 octobre. L'artiste présentera des oeuvres durant Asia Now, foire dédiée à l'art contemporain asiatique qui se déroulera du 18 au 22 octobre.
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