
50 ans est-il le meilleur âge pour entreprendre ? Si changer de vie ou se lancer un nouveau défi professionnel est une aventure pour chacun, passé 50 ans, l'expérience et le réseau sont des atouts déterminants, nous confirme Axel Dauchez, serial entrepreneur et fondateur de la civic tech Make.org.
Faut-il avoir moins de 30 ans pour monter sa boîte ? En mai 2018, l’étude « Âge et entrepreneuriat à forte croissance » du très sérieux National Bureau of Economic Research tordait le cou à cette idée reçue. « Un créateur d’entreprise âgé de 50 ans a 1,8 plus de chances de réussir », indiquaient les chercheurs. Pour étudier le lien entre âge et croissance d’une entreprise, ils ont compilé les données administratives tirées du recensement et les 2,7 millions de fondateurs d’entreprise aux Etats-Unis entre 2007 et 2014. Première surprise : l’âge moyen de création d’une entreprise est de 42 ans, tous secteurs et zones géographiques confondus. Deuxième surprise : les entreprises les plus performantes sont pilotées par des CEO de 45 ans en moyenne. En France, d’après les données de l’Insee, l’âge moyen de création d’une entreprise individuelle est de 36 ans, et 17% sont le fait d’entrepreneurs de plus de 50 ans. Serait-ce la revanche des quinquas dans l’entrepreneuriat ?
New study on age of founders: Ave founding age: 43.9; VC-backed, 41.9; successful exit, 47. Young Entrepreneur Myth? https://t.co/27MiL2XkDu
— Andrew Hargadon (@andrewhargadon) July 20, 2017
Pour comprendre en quoi l’âge et l’expérience sont des atouts majeurs pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, nous avons interrogé le serial-entrepreneur Axel Dauchez. Polytechnicien, il a bâti sa carrière dans plus de dix entreprises, dirigé Deezer France, Publicis France, piloté le lancement du salon Viva Technology, avant de changer de voie à la cinquantaine pour fonder la plateforme de lobbying citoyen Make.org.
Dans une société obsédée par la jeunesse et la nouveauté, l’âge et l’expérience sont-ils injustement considérés lorsqu’il s’agit d’entreprendre ?
Axel Dauchez : Je pense qu’il faut distinguer deux natures d’entrepreneuriat. Il y a celui du début de carrière, où l’on a peu à perdre mais pas nécessairement les armes pour mener son navire. Aujourd’hui, la promesse corporate des grands groupes n’est plus opérante et la recherche de sens extrêmement forte chez les jeunes générations, ce qui se traduit par le désir d’entreprendre ou d’aller vers des start-up.
Quand j’étais chez Deezer, j’ai beaucoup entendu l’antienne « je veux monter ma boîte », notamment dans la bouche de jeunes collaborateurs. Ils n’avaient pas nécessairement d’idée mais plutôt une appétence générale pour l’entrepreneuriat. Le moteur était plutôt la recherche de statut. Quand on est plus âgé, on monte sa boîte parce que l’on a envie d’accomplir quelque chose de précis. C’est très certainement l’une des caractéristiques de l’entrepreneuriat « mûr ».
Justement, quels ont été les moteurs qui t’ont conduit à te lancer dans l’aventure entrepreneuriale avec make.org à l’orée de la cinquantaine ?
A. D. : À 50 ans, je me suis trouvé au carrefour de plusieurs routes. Jusque-là, j’avais construit ma vie professionnelle en la séparant bien de ma vie familiale, que je considère comme ma « vraie vie ». J’avais toujours arbitré entre les deux, avec la prise de risque pour moteur de la première, quitte à me confronter à des échecs. Ce qui comptait pour moi, c’était le chemin plus que l’aboutissement. Et puis mes enfants ont grandi, quitté le foyer et j’ai compris que scinder ma vie entre le sens, la stabilité côté famille, et le risque de l’autre ne m’était plus aussi essentiel. À ce moment de ma vie, est venu un besoin extrêmement fort : donner un sens à ce que je faisais pour que avoir un maximum d’impact. Ce sentiment a donc été le premier moteur.
Le second, c’est que vers 45 ans, et même si on n’ose pas le dire, on commence à envisager le déroulement de la vie en « rétro-planning ». Tu sens que tu passes d’un paradigme où tu as une infinité de temps devant toi, à un paradigme où le temps est limité. Et ce jour-là, ça te mobilise, ça crée un sentiment d’urgence qui te pousse à agir de façon très déterminée. À 20 ans, on a plein de cartes et on peut les jouer comme on le souhaite, ce n’est pas grave. À 50 ans on en a moins, mais elles valent plus cher. Le seul impératif, à mon sens, c’est de ne pas garder ses cartes en main. Je me suis donc mentalement mis dans une de logique de « tapis ». Je prends tout ce que j’ai et je fais all-in sur mon projet.
« Faire all-in », c’est aussi prendre le risque de tout perdre. Le rapport à l’échec et à ses potentiels enseignements évolue-t-il avec l’expérience ?
A. D. : J’ai tendance à penser que pour moi, rien n’a changé. Mais si on réfléchit d’une manière plus générale, je dirais que dans une mauvaise boîte, on passe 90% de son temps à comprendre pourquoi ça a échoué, et qui est responsable. Dans une bonne boîte, on passe 10 secondes là-dessus, et le reste du temps, on s’occupe à remonter la pente et à avancer. En disant ça, je n’entends pas sacraliser l’échec, mais il faut comprendre que l’échec c’est du normal business, ça fait partie de la construction.
L’une des maximes en vogue dans la Silicon Valley est « Fail early, fail often, fail forward ». Qu’en penses-tu ?
A. D. : C’est effectivement une manière de penser plutôt américaine. De façon générale, le prisme français est plus lié à la logique un peu désuète de carriérisme. Dans notre contexte culturel, un entrepreneur se posera les questions suivantes : est-ce que je me mets en situation de risquer quelque chose ? Si je prends ce risque, est-ce que ça va être préjudiciable à la suite de ma carrière ?
Par ailleurs, les projets ambitieux requièrent de l’expérience et des capitaux, ressources que l’on est plus susceptible de posséder, passé un certain âge…
A. D. : C’est absolument certain ! Je n’aurais jamais pu fonder make.org, lever de l’argent et dégager un chiffre d’affaire en si peu de temps sans le réseau bâti tout au long de ma carrière, et sans mon expérience. À partir d’un certain âge, on a beaucoup plus d’actifs pour réussir. Le corollaire étant que cela coûte de l’énergie, et qu’il est parfois plus difficile d’assumer de ne pas se payer au début lorsque l’on a une famille. À 50 ans, on a plus de tout mais ce que l’on mise est beaucoup plus important, c’est pour ça que la notion de « tapis » a été importante pour moi. Mais cela correspond à une idée très personnelle qui est qu’à partir d’un certain âge, toute stratégie de préservation est délétère. D’après moi, passé 50 ans se dire « je vais me préserver » et ne pas prendre de risque, c’est paradoxalement un danger implicite plus important. J’estime que lorsque l’on commence à sentir que la vie n’est pas infinie, parier sur sa propre préservation c’est parier sur ta mort. Pour moi, c’est l’inverse de l’énergie vitale qui conduit à aller de l’avant, avancer et donc prendre des risques.
Qu’en est-il de tes équipes chez make.org : quelle est la moyenne d’âge ? Comment se passe le dialogue intergénérationnel ?
A. D. : La moyenne d’âge dans mon équipe se situe autour de 30 ans, le sweet spot se situe autour de 30-40 ans. D’un point de vue personnel, je ne suis plus capable de travailler uniquement avec des gens de mon âge. C’est un bonheur de chaque seconde de voir ce mélange de tous les âges qui collaborent ensemble. Et puis je suis confronté à la spécificité de cette nouvelle génération qui est complètement différente de la mienne dans son rapport au travail. J’ai le sentiment qu’il n’y a pas de statut acquis, que les choses sont perpétuellement remises en cause. C’est à la fois fatiguant et exaltant, mais globalement c’est une bonne chose pour l’entreprise. Il faut réussir à être en empathie par rapport à ça, tout en n’hésitant pas à remettre un peu de verticalité de temps en temps.
Comment s’exprime ce rapport au travail différent en fonction des générations ?
A. D. : De mon côté, c’est mon premier job véritablement engagé, c’est la première fois que je me démène pour une externalité qui dépasse l’entreprise. C’est absolument exaltant et ça me nourrit des milliards de fois plus que mes précédents jobs. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est que cela peut aussi être un poids. Dans une entreprise plus traditionnelle, les clés de satisfaction sont plus lisibles : gagner des parts de marché, générer du bénéfice. Quand son entreprise est construite sur l’impact, on ne peut jamais se dire « c’est bon, j’ai fait le job », on est en permanence confronté aux abysses auxquelles on s’attaque. C’est très lourd à porter, et sincèrement je ne le pensais pas avant de me lancer dans ce projet. Notre travail de tous les jours est marqué par l’exigence d’être en accord avec notre promesse. Tous les gens qui sont venus chez make.org sont consubstantiellement liés à notre projet. Cela crée pour eux une exigence par rapport à l’entreprise que je n’ai jamais vécue jusque-là. Cette pression nous oblige à remettre l’ouvrage sur le métier, ça nous engage à être constamment à la hauteur de la promesse faite au départ. Et ça, c’est ultra vertueux.
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Avec @CroixRouge @WWFFrance @GroupeSOS @uniscite @mouvement_up @mondeapres pic.twitter.com/0mKP30Hk4F— Make.org (@Make_org) May 28, 2020
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