
Le président de l’agence Babel décortique le rôle de la communication qui doit, plus que jamais, valoriser la contribution positive des entreprises à la société. À condition toutefois, pour les marques qui voudraient saisir l’opportunité des exigences citoyennes des consommateurs, de ne pas céder aux tendances éphémères de l’opinion et d’aligner paroles et actes.
L’étude Next Leading Brands réalisée par l’agence Babel et l’institut BVA démontre une forte mutation des attentes des consommateurs après la crise. Plus conscients, plus exigeants et moins fidèles, ils doutent de la sincérité des marques. Or, dans un même temps, les prises de parole des marques sous l’égide du « good » se multiplient. Au risque, pour elles, de paraître opportunistes et artificielles.
Avec le film humoristique Full Washing réalisé par l’agence Babel, son fondateur questionne le métier de communicant et souhaite rappeler les valeurs fondamentales de la communication : « l’objectif pour une marque est d’identifier la question positive qu’elle souhaite traiter dans son rapport avec la société. Elle ne doit pas se calquer sur les modes et les soubresauts de l’opinion, mais plutôt trouver dans son activité une contribution positive qui peut être éclairée et valorisée ».
Quel est, selon vous, l’effet pervers de la montée de la mode du « good », autant pour les marques que pour les agences de communication ?
LAURENT HABIB : La vague de « gooditude » qui a suivi le confinement pourrait révéler tôt ou tard ses effets pervers, qui tiennent à la perception d’un manque de sincérité ou de consistance de certaines marques. Ils sont nombreux à s’être engouffrés un peu trop rapidement dans cette voie, en déclarant leurs « bonnes intentions » sur des sujets sociétaux ou environnementaux extérieurs à leur identité réelle. Comme si la communication, après avoir commis l’erreur d’encourager l’hyper-consommation dont nous percevons désormais les conséquences néfastes, commettait – en espérant un antidote -, celle de se précipiter sur le chemin de la pureté, de la bien-pensance ou de la bienfaisance. C’est une prise de conscience artificielle, tardive et dérisoire. Plus que jamais, le rôle de la communication n’est pas de jouer du pipeau sur le chemin des entreprises. Si nous faisons cela, nous serons considérés comme de simples manipulateurs malfaisants.
D’autant plus que tout le monde n’est pas Nike ! Nike a toujours été une marque profondément populaire et lorsqu’elle a pris position pour les droits civiques des noirs américains, c’était dans la continuité de son identité. La marque a toujours été en relation avec les sportifs afro-américains et la communauté sportive noire est très importante dans de nombreux sports aux États-Unis. Nike a fait preuve de courage mais sa prise de risque était à la fois mesurée et légitime. En France, beaucoup se sont jetés sur des questions d’opinion sans vrai courage et sans vraie légitimité. Il est loisible pour les marques de prendre la parole sur des sujets de société mais il faut qu’ils soient substantiellement et stratégiquement corrélés à l’activité de l’entreprise. Sinon tout cela est vécu par le consommateur comme une gigantesque « manip » qu’il est prêt à sanctionner. Il est finalement dangereux de vouloir faire du « good » alors qu’on ne s’est pas inscrit soi-même dans une transformation véritable. N’est pas « good » qui veut !
Mais la loi PACTE, promulguée en France en 2019, ne consacre-t-elle pas la possibilité pour les entreprises de se fixer une « raison d'être » et donc d’entamer une transformation véritable dans le bon sens ?
L.H. : En France, ce mouvement d’adoption de « raisons d’être » à marche forcée a provoqué un « choc de béatitude » ! Il a consisté à exprimer des engagements plus sectoriels que véritablement identitaires. Et c’est malheureusement une occasion largement ratée. Dans beaucoup de cas, l’interne et les parties prenantes n’ont pas été engagés de façon approfondie pour faire de ce moment l’occasion d’une réelle démarche collective. Et beaucoup de raisons d’être vont rester lettre morte, faute de mise en œuvre opérationnelle réelle. L’erreur ? C’est qu’au lieu de s’inscrire dans des processus de transformation longs (au moins 5 ans), les entreprises ont tout mis en œuvre en un an et demi. Le résultat ressemble donc souvent à des déclarations de bonnes intentions sans preuves ni actes concrets, qui peuvent facilement être décelées et condamnées par l’interne comme par les consommateurs. Aujourd’hui ces derniers, notre étude le montre, veulent, plus encore qu’avant, des preuves concrètes : la bientraitance des fournisseurs, des salariés, le respect de la chaîne de création de valeur, le maintien de l’emploi… Ces différents facteurs sont importants pour les consommateurs qui apprécient les choses à partir de leur prisme personnel. Ils veulent des marques qui font du bien aux gens comme eux.
Quel est le rôle de la communication aujourd’hui et quelle est la bonne démarche à adopter pour retrouver du sens ?
L.H. : Le rôle de la communication est d’abord de mener une réflexion d’ensemble sur la relation entre l’entreprise, son activité et ses parties prenantes. Puis de mettre en scène le contrat de base qui lie la marque et le consommateur et qui combine l’expérience, la qualité et le prix. Ensuite, la marque peut générer de la survaleur, notamment en révélant la qualité de la relation de l’entreprise avec son corps social interne et avec le corps social externe. Mais la communication doit toujours se construire sur la réalité de l’entreprise, de son champ d’action, de son secteur, de la façon dont elle fait son métier, de la façon dont elle produit, distribue, répare... Pour communiquer au-delà, l’exigence est plus que jamais la cohérence. Et il faut assumer que le système de preuves de la transformation est à la fois plus essentiel à affirmer et toujours plus complexe à élaborer, et qu’il doit l’être avec beaucoup de prudence. Il doit s’inscrire dans la durée, être porté par les salariés, et ne peut pas être invalidé par la première crise venue. Il doit pouvoir faire l’objet d’une quantification et d’une évaluation dans le temps.
Pourquoi prendre position aujourd’hui ? Est-ce en lien avec le destin des professions du secteur de la publicité ?
L.H. : Je le dis depuis longtemps : la digitalisation de la communication comporte des risques graves pour les marques et évidemment pour les métiers de la communication. Depuis quatre ou cinq ans la situation a drastiquement changé : les investissements publicitaires chez Google, Facebook et Amazon sont devenus majoritaires par rapport aux investissements dans les médias traditionnels aux USA et très prochainement dans le monde entier. Or, au-delà du transfert massif de revenus qui en résulte, le problème est que la communication proposée par les plateformes et régie par l’algorithme ne permet pas de sortir d’un mode de construction de valeur que l’on peut appeler « utilitaire », fondé sur quatre atouts essentiels : la simplicité, la fonctionnalité, la rapidité et le prix. Ce mode de construction de valeur est important pour le consommateur évidemment, mais il n’est pas le seul moyen de créer à ses yeux de la valeur. Depuis les années 1980, les marques ont exploré prioritairement le mode « émotionnel » (la marque devenant le vecteur de représentations de soi valorisantes dans une société hédoniste). Ce qui se présente dorénavant devant elles, c’est un troisième mode de construction de valeur, fondé sur leur contribution sociale et sociétale, évidemment en cohérence avec sa réalité. Comment saisir cette opportunité de création de valeur si l’espace de la communication traditionnelle se réduit ? Et du coup comment préserver les marques dans le monde économique dominant que j’appelle, pour provoquer, le C to C : from China to Consumer ?
Notre rôle est d’accompagner la transformation des marques en les aidant à se saisir de l’opportunité de création de valeur que représente la conscience citoyenne des consommateurs. Pour cela, nous devons, par une communication fondée et exigeante, les aider à se transformer pour agir de façon plus positive, pour accélérer la transition écologique, pour favoriser le manger mieux, pour mieux traiter les fournisseurs comme les salariés, … Bref, notre rôle est d’accompagner, de valoriser et de défendre le contrat de progrès que l’entreprise noue avec toutes ses parties prenantes au service de sa pérennité économique et sociale. Le contexte difficile dans lequel nous sommes est un appel à une plus grande exigence pour notre métier.
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