homme qui déchire sa chemise

Le dilemme du « bienfaiteur » : les entreprises à mission doivent aussi penser profit

© Pesky Monkey via Getty Images

Les entreprises à mission sont-elles plus rentables ? Spoiler alert : oui, mais elles doivent aussi penser performance financière, alerte l’auteur Ranjay Gulati.

Un nombre croissant d’études suggère l’idée que la recherche de sens et de responsabilité en entreprise serait un facteur et un accélérateur de performance financière, peut-on lire dans une chronique de Ranjay Gulati pour le média Fast Company. Une étude co-écrite par EY et la Harvard Business Review révèle que les entreprises qui ont le plus mis au cœur de leur business la notion de sens étaient plus nombreuses que les autres à avoir connu une croissance rapide. 

Ranjay Gulati est professeur à la Harvard Business School, il vient de publier un essai, Deep Purpose: The Heart and Soul of High-Performance Companies. Comme son titre l’indique, le livre questionne la notion de sens, d’engagement d’entreprise. L’essayiste a ainsi mené 200 interviews auprès de grandes et plus petites entreprises, de PepsiCo à Gotham Greens (spécialisée dans l’agriculture urbaine). 

Oui, la recherche de sens est une idée puissante – et elle a des effets bénéfiques sur la santé financière d’une entreprise, mais elle reste fragile, tempère le professeur. « Dans un monde où la logique commerciale (et la recherche du profit, ndlr) règne, les dirigeants peuvent trouver difficile la conjugaison des [impératifs] sociaux et commerciaux ». À mesure que les directions changent, que les entreprises fusionnent, croissent, s’adaptent, « les salariés et les dirigeants peuvent se détourner de leur recherche de sens (…) et de leur raison d’être ». 

Le dilemme du « bienfaiteur »

« Lors de mon enquête menée au cœur des entreprises à mission, j’ai pu constater que même les entreprises à mission les plus engagées peuvent être touchées (par la perte de leur mission, ndlr) », poursuit Ranjay Gulati qui prend l’exemple de l’ancien patron – et chantre du B Corp en France –, Emmanuel Faber. Ce dernier avait su faire de Danone un héraut et un modèle de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, au point de changer le statut du géant de l’agroalimentaire, et d'en faire la première multinationale B Corp entreprise à mission française. Faber avait réussi un travail d’équilibriste entre rentabilité et engagement, en promettant aux actionnaires que l’entreprise bénéficierait d’ « une croissance forte, durable et rentable ». La justice sociale mènera à « la résilience de notre business », cite et analyse Ranjay Gulati. Apparemment, pas assez…

En mars 2021, l’ancien PDG de Danone est démis de ses fonctions. Le CA décide de son départ immédiat. Le dirigeant était dans le viseur d’actionnaires, qui l’estimaient responsable des mauvaises performances de l’entreprise face à ses concurrents. « En dépit d’efforts importants, Faber n’a pas réussi à trouver l’équilibre entre impact social et performance économique. L’action de Danone perd 25 % en 2020 ; le chiffre d’affaires est en baisse pour la première fois depuis des années ». 

« Notre problème n’était pas idéologique mais opérationnel », commente un des représentants, investisseurs activistes de Danone, BlueBell Capital. Le « profit social » ne peut « se réaliser au détriment des dividendes des actionnaires. Le premier devoir d’une entreprise publique est de rémunérer ses actionnaires », achève le cofondateur de BlueBell Capital. Pour Ranjay Gulati, c’est sûr, Emmanuel Faber a subi le « dilemme du bienfaiteur », et en a fait les frais : chercher à conjuguer performance économique et RSE peut mener à une croissance jugée insuffisante par les actionnaires. « Les "do-gooders" peuvent penser que faire le bien les dispense de faire mieux que leurs pairs ». Mauvaise nouvelle : pour les fonds activistes, ce n’est pas suffisant. 

Dans une interview donnée à Challenges, Elisabeth Laville, la fondatrice du cabinet Utopies, explique ainsi le phénomène : « Une étude a montré que les entreprises engagées sur des sujets sociétaux sont deux fois plus la cible des fonds spéculatifs que les autres. Parce que ce genre d’engagement public alerte sur le fait que vous ne maximisez pas forcément le profit à court terme : pour peu que votre gouvernance soit fragile ou que votre communication financière ne soit pas convaincante, les fonds sont alors dans une situation idéale pour faire un raid… »

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