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Leader advocacy : ministre tiktokeur, génie ou gênant ?

Avec Angie
© avemario

Plus d’un milliard de personnes du monde entier se donnent désormais rendez-vous chaque mois sur TikTok pour se divertir, apprendre ou découvrir quelque chose de nouveau. Un phénomène que certains semblent maîtriser à la perfection, comme Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux Transports et ancien pilote privé, dont les vidéos dépassent régulièrement le million de vues sur la plateforme.

Par Marie Allibert & Virgile Foucault, Angie

À l’origine, une crise de confiance…

Les sondages réalisés ces dernières années confirment la dépolitisation des plus jeunes, une tendance qui se retrouve dans les urnes avec une abstention record chez les 18-24 ans. Ils étaient en effet 72 % à ne pas se déplacer pour le second tour des municipales en France, du jamais vu.

À cela vient s’ajouter une réelle crise de confiance envers les institutions politiques et leurs représentants, avec en toile de fond un sentiment négatif dominant largement au sein des populations.

En parallèle, pour près d’un jeune de 18 à 24 ans sur deux (49 %), les réseaux sociaux constituent aujourd’hui le lieu le plus efficace de l’engagement lorsqu’on veut partager une opinion.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir des personnalités politiques de premier plan tenter de nouvelles démarches pour comprendre, toucher et interagir avec ces audiences.

On pense évidemment au président, Emmanuel Macron, qui avait fait une entrée remarquée sur TikTok, ainsi qu’à son gouvernement, dont les membres multiplient les incursions sur Twitch – comme Jean Castex, Premier ministre, ou encore Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement.


Comme l’indique Andreas Sandre, spécialiste US de la communication politique et auteur de #DigitalDiplomacy, qui a analysé la présence des personnalités politiques sur TikTok, les dirigeants politiques français sont loin d’être les seuls à se lancer sur ce réseau. (voir son étude ici).

Les gens l'appellent l'idole des jeunes

On pensera désormais à Jean-Baptiste Djebbari, qui culmine déjà à plus de 5 millions de likes sur TikTok, où chacune de ses vidéos génère des milliers de commentaires.

S’il s’agit en premier lieu, pour le ministre chargé des Transports, d’aller à la rencontre des jeunes sur leur propre terrain, la démarche porte, à mieux y regarder, des enjeux plus profonds :

  • Lutter contre le désamour… d’une partie des Français pour leur personnel politique en se rendant sympathique, moins hors sol que l’on pourrait l’imaginer, même lorsqu’il est à 10 000 mètres d’altitude ; ou en partageant des moments de vie ordinaires et extraordinaires qui le rendent proche des gens et, surtout, humain.
  • Valoriser l’action politique... en donnant à voir l’homme politique en action et en levant le voile sur le quotidien d’un ministre en dehors des plateaux télé, et ainsi montrer le travail et les nombreux dossiers traités au sein de son ministère.
  • Mais aussi faire passer des messages… en sortant des codes traditionnels de la communication politique et, finalement, en adaptant non pas le message mais la manière de le véhiculer en fonction de l’audience à laquelle il souhaite s’adresser. Un principe que les entreprises appliquent depuis de nombreuses années dans leurs communications.

Pourquoi ça marche ?

Même si, en en parlant dans votre entourage, la question risque de faire débat, et que cela comporte quelques risques, il se trouve que la démarche opère auprès du public visé. Les résultats sont immédiats et l’audience est considérable pour un ministère peu connu du grand public. Si quelques-uns s’en amusent, la trace laissée est bonne pour le ministre : de nombreux commentaires saluent la démarche, parmi lesquels, vraisemblablement, ceux de nombreuses personnes qui n’auraient jamais imaginé commenter le post d’un ministre.

La clé de ce succès tiktokien ? Une parfaite maîtrise des codes de la plateforme et, plus largement, des codes de la culture digitale :

  • La décontraction (vs le formalisme) : le ton adopté par le ministre est casual et décontracté, lunettes teintées, costume cintré, il ne reproduit pas les codes du monde politique rébarbatif et vieillot (ou perçu comme tel).
  • L’horizontalité (vs la verticalité) : Jean-Baptiste Djebbari ne se positionne pas comme une élite, mais se met en scène comme un homme « ordinaire » qui vit des choses extraordinaires, sans pour autant prendre son audience de haut.
  • Le lâcher-prise (vs la maîtrise) : il ne joue pas l’homme de pouvoir en contrôle de ses moindres faits et gestes (bien que personne ne soit dupe sur le caractère nullement « improvisé » de ses vidéos).
  • Le nomadisme (vs la sédentarité) : beaucoup de ses posts le montrent en mouvement, en déplacement, en action (et pas dans un bureau, sous les ors de la République).
  • Le visuel (vs le rédactionnel) : l’image du ministre repose largement sur son apparence, ses codes vestimentaires, qui manifestement plaisent à un public jeune.

À cela s’ajoute la singularité du personnage, qui colle parfaitement avec les codes de la plateforme, sa capacité à faire preuve d’autodérision, d’humour, en assumant une fonction sérieuse sans pour autant se prendre au sérieux. Une personnalité en adéquation avec l’esprit TikTok qui explique son succès et l’échec d’autres femmes et hommes politiques comme Marlène Schiappa, qui avait été cataloguée « ringarde » dans sa tentative d’humour et de décalage.

Une plateforme qui s’adresse donc davantage à des leaders qui prennent plaisir à mettre en scène leur vie et à faire preuve d’autodérision, à la manière de Richard Branson, Steve Ballmer (ex-CEO de Microsoft) ou Reggie Fils-Aimé (ex-président de Nintendo of America).

Mais une question demeure, celle de l’utilité finale de la démarche : outre l’augmentation du capital sympathie du concerné, la présence d’un élu ou d’un dirigeant sur TikTok contribue-t-elle à réconcilier les plus jeunes avec la politique ? Renforce-t-elle l’affinité avec l’entreprise ? Pas sûr, si l’on reprend le tunnel de l’engagement d’Angie, que l’impact dépasse le stade de l’awareness : les jeunes savent, désormais, que Djebbari existe. Ils ont peut-être davantage le désir d’écouter son discours. De là à voter ou encore à militer, il y a un grand fossé à franchir.

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