
Aujourd’hui les designers sont tiraillés entre deux positions contradictoires : une aspiration personnelle nourrie par une volonté de concevoir pour faire le bien face à une activité professionnelle qui consiste à créer le produit ou service parfait afin d’en encourager la consommation.
Cette tension est le reflet d’une certaine quête de sens dans notre société. Par exemple à propos de l’écologie, si nous sommes conscients de l’impact néfaste de nos modes de vie sur la planète, il nous est difficile d’agir radicalement à échelle individuelle. On parle alors de phénomène de dilution de responsabilité : face à un problème, chaque acteur de la société se renvoie la balle le laissant finalement sans solution. Tout ceci participe à créer un mal-être envahissant partagé par tous.
La problématique pour les designers aujourd’hui est de savoir concilier individuellement les valeurs bienfaisantes de leur métier et les tâches professionnelles réalisées au quotidien afin de créer plus de valeur pour l’ensemble de la société. Mais comment ?
L’outil et la méthodologie
Le design est par essence centré sur l’humain et a pour objectif d’améliorer le monde et de créer du beau. L’empathie est d’ailleurs une qualité précieuse chez les designers, naturellement attirés par l’idée de « faire le bien » pour l’autre. Leur ambition est de créer une expérience qui répond à un besoin utilisateur spécifique. Celle-ci va consolider la relation entre utilisateurs et marques, ce qui très souvent mènera à davantage de consommation...
Le défi pour le designer est de ne pas tomber dans le piège du dark design, qui lui, revêt un caractère de manipulation des utilisateurs. En effet, la frontière entre vouloir embellir la vie des utilisateurs et les pousser à la surconsommation peut s’avérer mince. Le designer ne doit pas renforcer un consumérisme toujours plus nocif pour la planète, mais plutôt utiliser ses outils et méthodologies dans un esprit plus vertueux et responsable.
Dans ce contexte, le designer doit constamment se demander si son métier apporte de la valeur pour le monde. Cette question est incarnée par le triptyque : design - éthique - responsabilité. En effet, le design doit être par essence fondamentalement éthique, car il vise à apporter de la valeur au monde. De ce fait, il implique une certaine responsabilité vis-à-vis des utilisateurs et/ou de la planète. Celle-ci est essentielle car elle donne au designer le pouvoir de décider pour quoi et comment utiliser ses outils et méthodologies afin de (re)donner du sens à son métier. Mais comment disposer de ce pouvoir ?
Conquérir les dirigeants par le design...
Refuser un projet en agence paraît relativement délicat. L’idée est donc de procéder par une « manipulation positive ». Dans un premier temps, il s’agit de faire la preuve de la valeur du design en entreprise, y compris au niveau stratégique. Puis, de réorienter les objectifs-mêmes des projets vers des valeurs plus éthiques et humaines. Le rôle du designer est donc d’insuffler des valeurs éthiques à un niveau stratégique afin de les faire se répercuter dans toutes les strates de l’entreprise.
Serait-ce accorder trop de crédit au design ? Pas tant que cela car aujourd’hui, les entreprises énoncent leur raison d’être et l’inconscient collectif chemine vers un état d’esprit qui demande à ce que les entreprises existent aussi pour être “utiles”. Le contexte se prête donc particulièrement à cette « manipulation positive ». Bien que la mission soit chronophage et périlleuse, l’enjeu reste encourageant. Il n’y a plus qu’à faire exister la RSE pour les sociétés de conseil également...
… ou reconquérir nos responsabilités individuelles de designers
Le choix le plus audacieux serait de se permettre de refuser les projets qui ne sont pas en ligne avec nos aspirations visant à embellir le monde. Par exemple en créant une agence éthique, dédiée à « faire le bien ». De nombreuses agences ou designers indépendants l’ont fait. Ce choix assumé crée un nouvel axe de professionnalisation manifeste. En faisant le choix de se tourner vers une agence dite « responsable » , les entreprises s’engagent presque à l’être elles-mêmes. Et donc à permettre aux designers de concevoir des produits plus éthiques et d’engendrer une boucle de consommation plus saine.
La responsabilité est portée à la fois par le designer dont la conception est alignée avec ses aspirations bienveillantes, par l’entreprise, qui en tant qu’acteur majeur de la société, contribue à l’améliorer à travers ses produits proposés, et par le consommateur en demande de solutions plus responsables. Plutôt que d’attendre l’action de l'autre, chaque acteur participe activement au changement.
Ceci étant, les limites de cette solution sont tout d’abord financières car le parti pris 100% éthique peut être un frein pour les potentiels clients. Mais également au niveau de l’impact en tant que tel. En effet, concentrer le gros de l’action entre individus ou collectivités « convaincus » en rejetant d’emblée les acteurs non-initiés n’aurait pas les retombées majeures envisagées. D’autant plus que c’est précisément l’impact nocif de ces non-initiés qu’il faudrait réduire. Dans cette approche, il faut veiller à embarquer ces derniers afin de s’attaquer ensemble à l’enjeu colossal qu’est le design responsable.
Face aux évolutions actuelles de la société, le designer dispose donc de plusieurs solutions pour redonner du sens à son activité et concevoir dans un esprit bienveillant.
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