
Hartmut Rosa, philosophe et professeur de sociologie à l'université d'Iéna, nous livre sa vision de la société moderne à travers le prisme du temps. Il sera présent à Val d'Isère pour Les Napoléons.
A la base des recherches d'Hartmut Rosa, un constat : la temporalité est double dans nos systèmes actuels. « Pour croître, l’économie et la société moderne ont besoin de l’accélération et de l’innovation », explique-t-il. « Ainsi, le statu quo est préservé ». Sans accélération, les entreprises font faillite, le chômage augmente ainsi que les impôts. Sans innovation, le progrès médical est inenvisageable. Paradoxalement, d’autres constituantes intrinsèques à notre société sont soumises à une temporalité différente. « La démocratie ou la nature ont besoin de temps pour aboutir ».
Hartmut Rosa analyse que nous sommes, en ce moment, au milieu de ce qu’il appelle une vague d’accélération, débutée après 1990. « La chute du rideau de fer a été un point de départ pour de nombreux bouleversements : économiques, politiques, mais aussi technologiques ». En de nombreux points, il est possible de parler d’une accélération nécessaire. Mais d’autres composantes du système se trouvent déstabilisées et risquent de souffrir, voire d’être détruites, par une accélération non maîtrisée.
L’arrivée d’internet et du smartphone ont permis de rendre le monde accessible et visible par tout le monde, partout, tout le temps. « Actuellement, le rythme de la vie est incroyable ». Hartmut Rosa précise qu’il y a eu d’autres vagues d’accélération, par le passé : l’arrivée des voitures, de l’électricité, du téléphone… « Nous vivions des révolutions similaires ». Selon lui, une innovation est vécue comme un progrès lorsqu’elle est acceptée, et donc maîtrisée. D’un autre côté, dans une société où une nouvelle application sort chaque jour, il est compliqué pour toute une population de s’adapter aux nouveaux usages… « Ces derniers temps, les innovations ont été tellement rapides que les consommateurs n’ont pas le temps de s’y habituer ». Il évoque de nouvelles formes d’anachronismes : « Les seniors n’ont plus l’impression d’appartenir au monde dans lequel ils vivent ». Tout a changé, et pas seulement sur le plan technologique : « les parcmètres, les cafés, la distribution… ». Le risque, c’est de se retrouver face à toute une génération qui ne se sent plus bienvenue dans son monde. « C’est aussi valable pour certaines régions ou classes sociales, parfois précaires, et cette désynchronisation peut expliquer la montée des extrémismes, politiques ou religieux : leur temps est dévalué ».
Aujourd’hui, le temps est une ressource rare. « Vous pouvez trouver des alternatives aux carburants actuels ; vous ne pouvez pas trouver d’alternative au temps ». Le résultat, c’est que le temps devient un moyen de pression. Une entreprise pourra exiger d’un collaborateur qu’il aille plus vite, à l’infini. Rien n’est jamais suffisant. « Cela entraîne une sorte de crise de l’épuisement ».
Est-il possible de concilier avancée moderne et équilibre du système ? Pour Hartmut Rosa, il faut aussi repenser les modèles. « Ce n’est pas facile, mais il y a beaucoup de points que nous pouvons et devons repenser pour résoudre les problèmes politiques, sociologiques et écologiques créés par l’accélération ». Sans qu’il soit question de ralentir, il préconise un changement dans les structures économiques et les orientations individuelles. « Pourquoi ne pas penser une économie qui soit démocratique ? ». Les marchés pourraient être culturellement et politiquement réintégrés. « Nous devons repenser l’emploi, les taxes, la sécurité sociale ». Il s’agit de redéfinir le concept du bien-vivre. « Je suis certain que la vie s’améliorerait avec des opportunités et des possibilités sociales et culturelles plus importantes ». Aujourd’hui, les gens se sentent aliénés, notamment par la politique qui ne répond pas à leurs attentes. « Le monde est tour à tour sourd ou muet. Le bien-vivre réside dans des relations qui ont du sens, avec la famille, l’entourage ou la nature ».
La plupart des offres et produits que nous nous achetons promettent de résoudre ces difficultés relationnelles… toujours dans une optique de gain de temps. « Qu’il s’agisse d’un smartphone qui me promette d’accéder à tous mes amis aux quatre coins du monde en un clin d’œil ou d’une pizza à réchauffer en 4 min pour passer une soirée en famille, nous sommes toujours déçus ». Notre fatigue latente et notre saturation de la course à l’accélération sont confrontées à notre désir toujours plus important d’avoir mieux, plus vite.
Pour Hartmut Rosa, une réforme politique, économique et sociale du système actuel n’est pas une utopie. « Nous ne pouvons pas continuer ainsi pour toujours : nous sommes en train de créer des contradictions qui vont menacer la société actuelle ». A l’Homme de prouver qu’il est capable de reprendre son destin en main.
L'édition des Napoléons à Val d'Isère 2016 se déroule du 13 au 16 janvier.
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