Homme se déplaçant devant un écran géant
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Les données sont le patrimoine de demain. Pour éviter qu'elles nous échappent et profitent surtout aux GAFAM, Gaspard Koenig, philosophe libéral et président du think tank GénérationLibre, a publié un rapport dans lequel il plaide pour un droit de propriété sur les données personnelles. Alors, combien valez-vous vraiment ?

Avec votre rapport, vous prédisez que la valeur croissante des données personnelles va transformer les individus en leur propre patrimoine. Pouvez-vous nous expliquer votre vision ?

Gaspard Koenig : C’est un enjeu réel : comment chacun peut devenir le capital de soi-même, c’est à dire son propre patrimoine ? Les évolutions en cours posent la question de l’appropriation de soi alors que le corps n’est, pour l’instant, pas un bien patrimonial. Cette conception qui nous vient du christianisme nous explique que l’humain n’est que l’usufruitier de son corps. L'usage que l'on peut faire de notre corps est encadré, régulé (par les lois notamment). Nous n'en sommes donc pas pleinement « propriétaires ». Mais, maintenant qu’il existe la possibilité technique de monétiser ses données, le concept de la « propriété de soi » devient un enjeu important.

Faudrait-il créer un droit de propriété sur les données que l’on produit ?

G. K. : Aujourd’hui nos données personnelles sont valorisées par des entreprises qui peuvent les revendre ou les mettre à disposition pour faire fructifier leurs activités. Les émetteurs de ces données n’en retirent rien, sinon un service gratuit. Ils n’ont pas la possibilité de les contractualiser ou d’en faire commerce. Néanmoins, d’après moi, chacun devrait pouvoir décider de l’usage qui sera fait de la data qu’il produit. En ayant par exemple son portefeuille de données contractualisé, via des intermédiaires.

L’enjeu n’est pas que financier, même si la rémunération que l’on pourrait tirer du commerce de ses données personnelles pourrait arriver à des niveaux conséquents. Selon moi, le plus important est de renouer avec la maîtrise de cette data en amont, en établissant par exemple un système de contrat cadre. La conséquence directe serait la mise en place d’un tout nouveau système juridique qui encadrerait ce système de propriété et de monétisation. Des start-up nous montrent déjà les signaux faibles d’un modèle qui pourrait s’imposer : Pikcio a par exemple créé un modèle commercial unique basé sur la valorisation et le partage de données, Myco a conçu une coopérative de données tenue par les internautes…

Pouvez-vous donner un exemple concret de ce nouveau type de relation marchande ?

G. K. : Dès à présent nous pourrions acheter une voiture, grâce à la monétisation et à l’envoi en continu de toutes nos données personnelles au constructeur. Pour cela, il faudrait pouvoir établir dès l’achat un contrat de cession de ses données. Ce type de mécanisme serait un moyen de reprendre en partie le contrôle sur sa vie et son intimité.

Comment protéger cette nouvelle forme de capital, de patrimoine numérique ?

G. K. : Il existe plusieurs manières de protéger ses données, mais ce sont souvent des tactiques appliquées par (et pour) une minorité d’activistes. Pour une adoption massive il faudrait passer par le droit de propriété. Lorsque nous serons en mesure d’attribuer une valeur à la data, les individus vont se rendre compte que ce patrimoine leur échappe, en découlera assez naturellement une volonté de contractualiser ces usages.

C’est de nouveaux business models qui s’annoncent. Il y aura bien sûr le droit de propriété, mais aussi des intermédiaires comme les Data Workers Unions (syndicat de producteurs de données) qui se constitueront pour négocier directement avec des plateformes comme Facebook. Mark Zuckerberg dans son dernier message appelant à une régulation d’État sur ces sujets comprend bien qu’il ne pourra bientôt plus fonctionner dans cette zone hors du droit. Dans toutes les grandes ruptures technologiques, le droit de propriété s’est peu à peu adapté : avec l’imprimerie est apparu le droit d’auteur, la révolution industrielle a créé les brevets, etc. Dans cette continuité, le droit de propriété pourrait s’étendre à la data.

La monétisation des données peut-elle constituer une nouvelle forme de revenus ?

G. K. : On ne peut pas vendre son nom mais on peut vendre l’utilisation qui en est faite. Chacun devrait pouvoir choisir de monétiser ses données et toucher des dividendes en fonction de leur utilisation. Il peut paraître insensé que chaque clic délivre une poussière de centime, mais cela permettrait de lui attribuer une valeur. En faisant cela, un rapport de pouvoir s’instaurerait entre l’émetteur de data et les plateformes. Ce serait un début.

Il faut également garder à l’esprit que toutes les données n’ont pas la même valeur. À New York, par exemple, j’ai rencontré une start-up qui essaye de récupérer les scans médicaux. Ici on parle de données dont la valeur est estimée à des milliers de dollars pièce. Aux États-Unis, certains médecins sont déjà rémunérés aussi bien par le patient que par l’industrie pharmaceutique à laquelle ils vendent ces scans quand ceux-ci présentent un intérêt (en cas de maladie rare par exemple). Donc gardons à l’esprit que la valeur des données est large, et ne devrait pas avoir le même impact financier.

Pensez-vous que la rémunération de l’individu pour ses données pourrait se substituer au revenu universel ?

G. K. : C’est une théorie envisagée. Mais faire passer la rémunération des données pour un revenu universel me paraît complètement biaisé, parce que produire de la data constitue une forme de travail. Pour ma part, j’ai toujours fortement promu le revenu universel. Je pense qu’il est fondamental pour la société et je ne l’associe pas du tout à la fin du travail. Il est à mes yeux une nécessité pour répondre à une liberté fondamentale : celle de subvenir à ses besoins. Aujourd’hui, il réapparaît dans le débat public car il propose une solution très intéressante dans un contexte de mutation du travail. Tous nos systèmes sociaux sont fondés sur l’idée de société industrielle. Or la montée du travail indépendant rompt complètement avec cette logique-là. Il faudrait réinventer les systèmes sociaux pour qu’ils fournissent un filet de sécurité automatique, en temps réel et inconditionnel à cette nouvelle norme de travailleurs indépendants qui s’installe. C’est là que le revenu universel entre en jeu. De plus, au vu de toutes les réformes du RSA qui sont faites, on tend vers cette logique. En France, cela représenterait un basculement assez marginal dans la continuité de la réforme des minima sociaux réalisée depuis longtemps. Selon nos projections et nos calculs, cela ne constituerait pas un grand chamboulement de la structure économique et sociale.

 

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