Et si le futur du sport, c'était l'échec ?

Et si le futur du sport, c'était l'échec ?

© Fitsum Admasu

C'est probablement le slogan le plus connu au monde. Il a été diffusé pour la première fois il y a trente-trois ans à la télévision américaine, le 1er juillet 1988. On y voit un homme, âgé de 80 ans, faire son footing le long du Golden Gate de San Francisco. Il explique face à la caméra courir 17 miles chaque matin – sans oublier de laisser son dentier à la maison. Et à la fin de ces courtes 32 secondes de spot publicitaire, trois mots en blanc sur un écran noir : « Just do it ».

Bien avant la démocratisation du web, Nike fait exploser ses ventes, construit son image pour les décennies à venir et, surtout, révolutionne le sport avec ce clip et ces quelques mots. En substance : s'il peut le faire à son âge, n'importe qui le peut. Les représentations du sport commencent alors à évoluer vers un modèle plus inclusif.

Au cours des années 1990, l'activité physique sort peu à peu du carcan des athlètes professionnels et amateurs confirmés. La démocratisation des pratiques permet également de dépasser un autre tabou : celui de l’échec sportif. Autrefois redouté et mal vécu par les compétiteurs de tous bords, l’échec est désormais mieux accepté dans la société, voire mis en valeur pour ses vertus pédagogiques. Analyse d’une mutation. 

Pourquoi tombons-nous ? 

« Pourquoi tombons- nous, maître Bruce ?  », demande le majordome Alfred à Bruce Wayne dans le film Batman Begins (2005) de Christopher Nolan. « Pour mieux apprendre à nous relever », répond alors le Batman, incarné par Christian Bale. Devenue culte pour toute une génération, cette maxime pourrait s'appliquer à de nombreux sportifs de haut niveau. 

Après avoir abandonné aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008, avoir été disqualifié à Londres en 2012, Yohann Diniz, athlète français spécialiste de la marché athlétique, a vécu un calvaire à Rio en 2016. Souffrant alors de soucis gastriques, le sportif a avancé plus de 40 km en s'écroulant à plusieurs reprises, parfois au bord de l'évanouissement, simplement pour terminer sa course. « J'étais dans un trou noir », dira-t-il ensuite dans une interview. Il finira 8e de la course et sera pourtant de retour aux JO de Tokyo 2020, à 42 ans. 

Les exemples de ce type sont légion. Les athlètes ont fait de l'échec un leitmotiv pour aller plus loin dans leur art, et la société de leur « grand retour » un récit héroïque. « Au niveau du sport, l’échec a longtemps été un tabou, du moins jusqu’aux années 90 où il ne devait pas faire partie du vocabulaire. Cela rassurait, mais aujourd’hui les mentalités ont évolué et on s’en sert dans le but de progresser. C’est un peu comme lorsqu’on se sert de l’histoire du passé pour construire l’avenir », expliquait le judoka français Benoit Campargue dans une interview à L’Equipe en 2018. 

Le sport, pour tous 

Si les mentalités et la perception que l'on a de l'échec au plus haut niveau ont évolué, c'est aussi parce que le regard de la société sur les pratiques sportives a changé : on envisage le sport comme un moyen de se dépasser et se maintenir en forme, accessible à tous, et non plus comme une pratique réservée à des athlètes jeunes, en forme, voire professionnels. 

De nos jours, certaines marques réussissent à rendre le sport plus horizontal et accessible, tant par leur campagne de publicité que par des actions concrètes. On pense à Nike et sa campagne “Play New”, qui encourage les sportifs du dimanche à ne jamais lâcher, en prenant conscience que la réussite sportive est faite d’échecs. 

Ibis Budget propose, grâce à son concept de “Smart Sport”, de faire rentrer le sport dans sa routine quotidienne : on utilise les objets du quotidien de manière fun et ludique pour se dépenser. Vider son lave-vaisselle en faisant des squats, transformer le chemin vers le travail ou l’école en parcours d’aventure sont autant d’exemples développés par ibis budget, qui fait du monde entier un terrain de jeu.

« Il y avait un grand récit de la compétition, née dans les années 1890 en Angleterre. Beaucoup de gens envoient désormais promener tout ça. Ils ont compris que le plaisir de courir vaut bien une médaille. On s'extasie aujourd'hui, mais c'est une révolution qui a plus de 50 ans », nous affirme François Bellanger, directeur de Transit-City, agence de conseil de prospective et innovation et co-fondateur des Rencontres de la Prospective Sportive.

Les marques et le marketing ont été une pierre angulaire de ce changement de paradigme – à leur profit, évidemment. Avec « Just do it », Nike réussit à séduire des personnes de tous horizons, origines, classes sociales. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en dix ans, les ventes de baskets Nike passent de 18 % à 43% des parts de marché sur le territoire américain. En France, c'est Decathlon qui mise le premier sur ce segment. « Tout le monde n’aime pas le sport, mais tout le monde a envie d’être en forme. Chez Decathlon, on ne parle jamais de sport mais de forme ou de bien-être. Le succès de ces grandes marques de sport, c’est leur sociologie sportive », continue François Bellanger. 

Dès 2002, le sociologue et ancien professeur d’éducation physique Michel Jamet écrivait ainsi, dans un article intitulé “La sociologie du sport” : “En s’individualisant, les choix de pratiques sportives de loisir, loin de se cantonner dans une logique de performance, s’orientent aussi vers des activités centrées sur la quête de bien-être (...) Même si la quête de performance peut reprendre le dessus lorsqu’on fait de la randonnée pédestre, cycliste (...), il est difficile d’ignorer que le sport symbolise aussi, de plus en plus nettement, une forme de bien-être, élément d’une qualité de vie recherchée par ceux qui bénéficient des ressources économiques et culturelles suffisantes.”

La mort de l'échec

Les discours changent, et les manières de pratiquer suivent. Par exemple, la course à pied n'est plus l'apanage de marathoniens confirmés en quête de performances. 15 millions de Français s’y adonnent aujourd’hui et le running est devenu un véritable phénomène communautaire grâce aux applications qui permettent de partager des itinéraires, rejoindre des clubs virtuels et se rencontrer. Celles-ci permettent aussi de recueillir ses propres statistiques : on court alors pour se dépasser, plus pour gagner une course. 

Pour François Bellanger, la notion d'échec ne fait plus aucun sens lorsque l'on parle de pratiques sportives. « Le sport n’est plus une activité à part, où on va dans son club et on fait les choses de son côté. C’est un mode de vie, un phénomène social total », continue-t-il.
« (...) Ca n’existe plus l’échec, on s’en fiche. Quelqu’un qui court un marathon en cinq heures, il s’en fiche. Il a couru le marathon : il s’était donné un défi, il l’a dépassé. Les grilles du sport dominantes, dans les médias, sont totalement à côté de la plaque vis-à-vis des pratiques sportives. »

Et si le futur du sport, ce n'était pas l'échec, mais la mort de la notion d'échec pour celles et ceux qui cherchent à pratiquer une activité physique, quel que soit leur âge ou leur niveau ? Au profit du plaisir et du dépassement de soi-même.

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