
Le 25 juin, le Leem organisait une opération « vérité » pour répondre en toute transparence aux questions des internautes posées sur la plateforme #Rienàcacher. Morceaux choisis.
Les vaccins anticovid ont été développés très rapidement. Ne sont-ils pas expérimentaux et testés un peu à la va-vite ?
Thomas Borel, Directeur scientifique et RSE du Leem : Globalement, pour obtenir un vaccin, cela prend 7 à 10 ans de recherche clinique. Il est vrai qu’on a vécu quelque chose d’exceptionnel avec le Covid puisqu’en un an, on a réussi à obtenir les premiers vaccins avec une homologation européenne. Cela s’est fait dans le cadre des essais cliniques classiques, avec tout l’aspect normatif et réglementaire qui encadre la sécurité des patients et la qualité du vaccin, dans toutes les phases de tests qui ont été menées. Pourquoi cela s’est fait si vite ? On peut identifier 4 facteurs qui expliquent cette rapidité :
- un historique sur la recherche : tant sur les coronavirus, qui avaient déjà donné lieu à des projets vaccinaux, que sur l’ARN messager. Cela fait déjà plus de trente ans que l’on étudie son potentiel dans les réponses thérapeutiques, notamment en cancérologie,
- un niveau de collaboration inédit : des équipes de recherche publique et des laboratoires pharmaceutiques, mais aussi les différents laboratoires entre eux, qui sont habituellement concurrents, ont oeuvré ensemble pour trouver des solutions.
- l’investissement des Etats et des puissances publiques : qui ont mobilisé de l’argent pour soutenir cette dynamique de recherche, et cela a évidemment boosté tous les projets de recherche. il y a 300 projets de recherche encore en cours sur des candidats vaccins.
- les autorités de santé, qui décident de l’autorisation de mise sur le marché et évaluent les essais cliniques, ont été particulièrement réactives. Et le travail d’échange d’information entre les laboratoires pharmaceutiques et les autorités a été particulièrement réussi. Ce qui a permis d’avoir une réponse aussi rapide.
Faudra-t-il une 3e injection du vaccin à cause du variant Delta ?
Thomas Borel : On ne peut pas répondre de façon formelle à cette question. Il n’y a pas de protocole aujourd’hui permettant d’établir qu’il faille une troisième injection pour les variants.
Aucun vaccin dans le pays de Pasteur… Est-ce un échec de la recherche française ?
Thomas Borel : Cela souligne surtout ce qu’est l’incertitude et les difficultés de la recherche. Il y a toujours un facteur chance dans la recherche, malgré les investissements et les connaissances scientifiques. Deux laboratoires français viennent quand même d’annoncer la phase 3 de leur vaccin, c’est-à-dire l’entrée dans la dernière phase de l’étude clinique. On peut donc espérer qu’ils le mettront sur le marché avant la fin de l’année.
D’une façon plus générale, cela souligne aussi la façon dont certains pays ont peut-être plus soutenu des politiques collaboratives avec des laboratoires pour financer des projets de recherche. Tous les modèles qui ont abouti à des vaccins reposent sur l’alliance de trois composantes : un laboratoire pharmaceutique, des plus petites entreprises ou des start-ups et des équipes de recherche publique.
Faut-il vacciner les adolescents contre le Covid ?
Clarisse Lhoste, présidente de MSD France : Pour tous les vaccins, il est important d’avoir une immunité collective (soit 80% de la population vaccinée) de façon à protéger ceux qui ne pourraient pas se faire vacciner et à stopper le virus. Donc l’objectif c’est d’arriver à ces 80%. Bien sûr, les adolescents peuvent se faire vacciner et contribuent à cet effort, notamment s’ils sont à risque ou s’ils vivent avec des personnes à risque autour d’eux. Aujourd’hui il y a déjà un vaccin qui est approuvé à partir de 12 ans, qui a été testé comme pour l’adulte, avec la même rigueur. C’est aussi aux autorités de santé de se positionner sur les recommandations vaccinales. A titre personnel, je pense que la première urgence est d’atteindre 80% de vaccinés dans les populations adultes, qui sont plus à risques que les populations plus jeunes.
Est-ce que l’ARN messager va modifier notre ADN ?
Thomas Borel : L’ARN n’agit pas sur les composantes génétiques. Il agit sur un message qui est en dehors de la cellule et ne porte aucun risque sur le plan génétique. L'ARN messager est bien connu et testé depuis longtemps, on connaît bien ses effets physiologiques. Le fait d’injecter un ARN messager n’est pas plus à risque que d’injecter une protéine comme on le fait régulièrement sur des tas de vaccins. Et il y a une pharmaco-vigilance très forte pour rendre compte d’éventuels incidents. Le secteur pharmaceutique est l’un des plus régulés avec le secteur aéronautique !
La recherche sur le Covid a-t-elle retardé la recherche sur les autres maladies?
Clarisse Lhoste : Le Covid a été un projet ultra prioritaire l’année dernière, qui a mobilisé beaucoup d’équipes de recherche. On a dû faire des choix, et certains projets moins prioritaires ont dû être arrêtés. Mais l’immense majorité des projets de recherche ont bien continué. Et plus important : la continuité des soins a été assurée. On a réussi à faire des injections à domicile par exemple pour des traitements dispensés à l’hôpital auparavant.
Eric Baseilhac, Directeur Accès des patients aux médicaments, Economie et International du Leem : Le travail fait sur le Covid nous a aussi énormément appris, tant sur la collaboration entre laboratoires que sur la façon d’optimiser le temps des essais cliniques, en menant des phases de manière intercalaire, et le temps de la fabrication, en osant lancer les chaînes de fabrication en même temps que certaines phases d’essais cliniques, ce que l’on ne faisait jamais. On a aussi beaucoup appris de la digitalisation, mieux se servir de l’intelligence artificielle. Toutes ces crises sont des périodes d'effervescence extraordinaires, on a beaucoup de leçons positives à en tirer.
Comment peut-on avoir trouvé un vaccin contre le Covid aussi rapidement mais pas contre le Sida ?
Thomas Borel : Il y a énormément d’avancées sur le plan des traitements qui permettent de stabiliser les patients qui souffrent du VIH. Malheureusement nous n’avons pas de vaccin contre le Sida. Pourquoi ? Parce que l’on a des virus très différents. Le covid-19 est relativement facile dans son identification et ses mutations sont modérées par rapport à celles que l’on connaît sur le VIH. Le Sida est plus complexe et provoque des réponses immunitaires totalement différentes.
Pourquoi ne pas lever les brevets des vaccins, comme le réclament certains pays ?
Eric Baseilhac : La levée des brevets est une très mauvaise réponse à une très bonne question : 16% de la population mondiale détient aujourd’hui 50% des vaccins fabriqués. Il devient urgent que tous les citoyens de la planète aient accès aux vaccins anti-covid, et pas seulement la population des pays les plus riches. Mais le problème n’est pas d’ordre économique. Les vaccins ont été vendus soit à prix coûtant, soit à prix différencié, c’est-à-dire à des prix adaptés au pouvoir d’achat des pays. La question concerne plutôt les capacités de production. Pour produire des vaccins en nombre suffisant, il faut que les laboratoires qui ont conçu les vaccins transfèrent leur technologie et passent des accords avec les laboratoires en capacité de produire vite ces vaccins.
Ces accords de licences entre laboratoires sont la clé. Plus de 270 ont été passés à travers le monde : AstraZeneca a passé un gros accord avec le Serum Institute en Inde pour produire 1 milliard de doses. En Afrique du Sud, Aspen a passé un accord avec Johnson & Johnson (pour la formulation et le conditionnement de son vaccin en Afrique du Sud, NDLR). L’autre enjeu concerne les surcommandes des pays riches. L’Europe dispose de trois fois plus de vaccins que ce dont elle a besoin, les Etats-Unis, deux fois plus et le Canada, sept fois plus ! Il faut demander à tous les pays de libérer les lots surcommandés et les adresser d’urgence aux pays qui en ont besoin. Et ça, ce n’est pas l’affaire des laboratoires pharmaceutiques !
Quid de l'enrichissement des labos avec la crise du Covid ?
Clarisse Lhoste : Ce que je retiens de cette crise c’est que l’industrie pharmaceutique a réussi en moins d’un an à mettre trois vaccins sur le marché, grâce à une mobilisation sans précédent des différents acteurs, privés et publics, pour réussir à combattre cette pandémie. Notre modèle économique repose sur le modèle d’une entreprise privée, ce qui veut dire qu’il a besoin d’être rentable pour pouvoir fonctionner. Ces profits sont nécessaires pour financer la recherche de demain. Cela permet de prendre des risques et d’ouvrir des nouvelles voies de recherche. Sur 10.000 molécules criblées pour la recherche, il y en a 100 qui vont aboutir sur un brevet et une qui sera mise sur le marché. Et ceci, au bout de 10 ans de recherche, avec un coût de développement de 2 à 2,5 milliards. Cela montre à quel point la recherche pharmaceutique est extrêmement coûteuse, compliquée et risquée. Donc les profits d’aujourd’hui financent aussi les échecs et des choix audacieux que l’on peut faire.
L’industrie pharmaceutique a-t-elle le dernier mot sur le prix des médicaments ?
Eric Baseilhac : Non ! En France, le prix du médicament est négocié entre l’industriel, qui propose son médicament, et le comité économique des produits de santé. Le prix est proposé par l’industriel puis il est discuté en fonction d’un certain nombre de règles : les règles de l’accord-cadre, qui sont disponibles en ligne, et qui prennent notamment en compte le bénéfice thérapeutique du médicament. A la fin de cette discussion, soit un accord est signé entre l’industriel et le comité, et le prix négocié devient le prix officiel du médicament, soit il y a un désaccord et l’industriel peut choisir de ne pas commercialiser son médicament. Ce dernier cas est rarissime. Le comité peut aussi imposer le prix du médicament. Le prix du médicament est ensuite publié au Journal officiel et c’est le ministre qui signe ce document.
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