Illustration d'un enfant avec un masque à gaz

Carine de Boissezon, EDF : « L’environnement n’est pas l’ennemi de l’emploi »

© Moritz Kindler

Pour la troisième année consécutive, EDF et Ipsos ont réalisé L'Obs'COP, un baromètre de la perception du changement climatique dans 30 pays. Décryptage avec Carine de Boissezon, directrice du Développement durable du Groupe EDF.

Dans un contexte de crise énergétique, renforcée par les perspectives d'un conflit durable en Ukraine, on décrypte au travers du baromètre Obs'COP la perception du changement climatique dans 30 pays : comment est perçue l'urgence, quelles en sont les manifestations réelles, et enfin quelles mesures et gestes les populations sont prêtes à adopter. Première bonne nouvelle selon le baromètre : la priorité environnementale n'est pas synonyme pour beaucoup de Français de destruction d'emploi. Deuxième bonne nouvelle : ce changement serait même bénéfique à l'emploi (pour 36 % de Français).

En creux, le baromètre pose aussi la question du rôle de l'entreprise : avec une capacité d'investissement de 17 milliards, l'entreprise EDF est aussi une entreprise à impact, rappelle sa directrice du Développement durable, Carine de Boissezon. Entretien.

Quels sont les principaux enseignements que vous ressortez de l'Obs'COP ?

L’idée que seul un changement de mode de vie permettra de lutter contre le changement climatique ne fait pas consensus : elle est partagée par un habitant de la planète sur deux (51 %) et elle a plutôt reculé depuis deux ans (-2 points depuis 2019). Pour 69 % de la population mondiale, les leviers de résolution des problématiques climatiques restent avant tout l’affaire des gouvernements. Si les consommateurs ont le sentiment d’agir déjà à leur échelle (50 %) il s’avère que les gestes les plus pratiqués – tri des déchets, respect de la saisonnalité des fruits et légumes, réduction des emballages – ne sont pas ceux qui seraient les plus efficaces pour lutter contre le changement climatique. En résumé, beaucoup des personnes interrogées pensent agir pour le climat au quotidien, et pourtant, elles n'agissent pas sur les bons leviers !

Le sujet du CO₂ est complexe. On a souvent tendance à le résumer à la question des émissions directes, alors que l'éléphant au milieu du couloir concerne les émissions indirectes. Chacun a donc tendance à se dire que cela ne relève pas de sa responsabilité. Il est donc nécessaire de faire preuve de pédagogie sur ces enjeux pour sensibiliser et éduquer l’ensemble de la chaîne.

L'Obs'COP montre que malgré la multiplication des événements climatiques en 2021, le climato-scepticisme progresse. Comment expliquez-vous cela ?

En effet, alors que l’on imaginait la population mondiale de plus en plus convaincue de l’existence d’un changement climatique d’origine humaine – et 66 % en sont effectivement persuadés, on assiste plutôt à une progression du climato-scepticisme. D'ailleurs beaucoup ne parlent plus de climato-scepticisme mais de climato-réalisme !

Ce que l'on remarque avec l'étude Obs'COP, c'est une corrélation entre climato-scepticisme et pays à forte production pétrolière et gazière. Prenons l'exemple de la Norvège, qui dans l’enquête est le 2ème pays après l’Arabie saoudite en nombre de « sceptiques ». Le fonds souverain norvégien représente plus d’un trillion d’actifs sous gestion. Un milliard de milliards proviennent donc de l’exploitation des champs pétro-gaziers. Une fois cette donnée prise en compte on comprend le défi que représente la fin d'exploitation de ces ressources. Ces actifs ont permis et permettent le développement économique, la création d’emplois et la production de richesse du pays. De plus, dans le cadre de la transition énergétique, une partie de cette richesse est investie pour décarboner le pays. D'une certaine manière, les actifs sont donc aussi du côté de la solution. Ce n’est donc jamais blanc ou noir.

Les événements actuels en Ukraine résonnent comme une sonnette d'alarme, qu'en pensez-vous ?

La concomitance, et on peut même parler de collision, entre la publication du rapport du GIEC et la guerre en Ukraine doit permettre une prise de conscience. La hausse des prix du pétrole et du gaz, les répercussions économiques, le prix du blé… Tout cela doit nous amener à réfléchir aux enjeux de dépendance, de souveraineté, de migrations… Tout comme la crise sanitaire d’ailleurs. Ces moments sont précurseurs de ce qu'on peut être amené à vivre dans un futur proche en lien avec le dérèglement climatique. Si ces crises accélèrent la prise de conscience des citoyens, elles doivent également permettre d'accélérer les décisions politiques.

Vous étiez d'ailleurs présente à la COP26 à Glasgow. Avez-vous trouvé les dirigeants à la hauteur des enjeux ?

La COP26 à Glasgow a été décevante concernant les aides financières attribuées aux pays émergents. Les pays développés délocalisent les problèmes vers des pays charbonnés, comme l'Inde ou la Chine et ensuite les rendent responsables au prétexte qu'ils connaissent une forte croissance. En effet, si on regarde les émissions locales en Europe, on constate et on se félicite d'une baisse importante. En revanche, si on prend en compte les importations de produits, on ne raconte pas la même histoire. Tout dépend donc du prisme qu'on veut donner. La vérité est donc partout mais aussi ailleurs. Mais une chose est sûre, les pays développés doivent aider financièrement les pays émergents à se décarboner. Car si à court terme ces derniers sont ceux qui ont le plus de risques de souffrir des changements climatiques, les migrations climatiques qui en résulteront seront un problème à gérer pour les pays développés.

D'ailleurs quand on parle de migration, le sujet des migrations internes est rarement évoqué. Pourtant, dans certains pays, c'est déjà une réalité. Pour vous donner un exemple, lors de la COP26 j’ai rencontré des membres du gouvernement écossais qui assumaient ouvertement de déplacer des populations de villes côtières en anticipation de la disparition de certaines villes d'ici à 2100.

Actuellement, plus de la moitié de la population mondiale vit déjà dans des zones critiques d'impact du changement climatique. Diffuser ce genre d’information et l'information en général est essentiel pour faire prendre conscience aux citoyens que certaines choses vont certes être dures, mais que malheureusement plus nous attendons, plus cela risque d’être violent et difficile.

Pour accélérer la prise de conscience, le vrai sujet n'est-il pas celui de la transition juste ?

Bien sûr c'est un vrai sujet. On le voit dans l'Obs'COP : ni relégué, ni prioritaire, l’environnement est concurrencé par le quotidien. Si un virage environnemental reste souhaitable pour 41 % des répondants, les questions du pouvoir d’achat et de la pauvreté redeviennent centrales. La transition énergétique est inflationniste. Il faut donc en parallèle réfléchir à protéger les plus faibles, de façon efficace et équitable. Il y a donc une réalité d'inégalités sociales et d'inégalités climatiques et elle doit être adressée politiquement si on veut mobiliser.

En tant qu'électricien, nous avons également un rôle à jouer dans le cadre de la transition juste. Par exemple considérer que l’électricité est un bien essentiel, permet de prendre en compte les enjeux de précarité énergétique. Avec notre capacité d'investissement qui s'élève à 17 milliards par an nous avons un fort impact pour investir dans la décarbonation et participer à l’atténuation. Il faut tout faire pour remplacer les énergies fossiles. Et cette idée est largement admise puisque partout dans le monde, l’accueil réservé aux énergies renouvelables pour produire l’électricité fait consensus. À l’autre extrémité du spectre, le charbon n’est accepté que par 25 % de la population mondiale.

Aborder le virage de la transition écologique nécessite des ressources. On vient d'évoquer les ressources financières, qu'en est-il côté ressources humaines ?

La question est de savoir si finalement la transition énergétique ne déporte pas les jobs en dehors de chez nous. Notamment quand on parle du renouvelable puisque 95 % des panneaux solaires sont fabriqués en Chine et en Inde. Nos points forts, hormis le nucléaire, concernent l'éolien offshore. Nous avons une industrie française et européenne qui se développe et qui est créatrice d'emplois. Sur ce sujet nous avons une longueur d'avance, tandis que concernant la production de panneaux solaires il va être très difficile de réinternaliser en Europe sans avoir un impact négatif sur les coûts de production.

Côté création d'emplois, en 2021 nous avons lancé une émission d'obligations sociales pour un montant nominal total de 1,25 milliard d'euros. L'idée est de flécher l'argent vers des PME et des ETI situées dans des bassins d'emploi qui ont un chômage au-dessus de la moyenne nationale. Via nos carnets de bords nous sommes ainsi capables de mesurer qu'un emploi dans la production chez EDF représente 4 emplois induits indirects. Et on prépare également l'avenir puisqu'un alternant sur 100 en France travaille chez EDF.

Évidemment nous avons des trous dans la raquette mais nous y travaillons. Nous sommes engagés avec l'État pour recréer des filières de formation. Et puis derrière la question de l'emploi, il y a celle de la diversité. Les métiers de la transition énergétique et du nucléaire en particulier, manquent de femmes. Pour les attirer nous avons notamment créé le prix « Women's Energy In Transition ».

L'emploi est un enjeu important et l’environnement n’est pas l’ennemi de l’emploi. L'Obs'COP se veut d'ailleurs rassurante sur le sujet. Une des raisons qui explique le relatif soutien à la priorité environnementale, est l’absence de crainte de destruction d’emploi si l’on verdit l’économie. Et ça c'est important.


Le saviez-vous ?

Le profil générationnel des personnes en colère n’est pas très marqué et il serait en tout cas abusif de décrire
les jeunes classes d’âge comme une « génération en colère », en tout cas à l’échelle mondiale. 33 % des moins
de 25 ans le sont contre 30 % des plus de 45 ans, soit une différence faible. Les jeunes européens et américains
le sont un peu plus, mais c’est bien l’inquiétude qui domine partout. Dans certains pays, la démoralisation est
éprouvée par 40 % ou plus de la population (Italie, Pologne, Turquie, Espagne). En Europe, les sympathisants
écologistes et de gauche éprouvent plus souvent ce sentiment.

Rapport Obs'COP

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