
D'après Gartner, 75% des achats devraient passer par une marketplace d'ici 2022. Pourquoi un tel engouement ? Interview.
Une étude YouGov réalisée pour le compte de Stripe (paiement en ligne) révèle que plus de la moitié des Français préfèrent faire l’ensemble de leurs achats en ligne sur un seul site, plutôt que de commander auprès de plusieurs e- commerçants ou marques indépendantes. Pourquoi le modèle des marketplaces est-il devenu incontournable ? Explications avec Stéphane Jauffret, président et fondateur de Sellermania, une solution qui permet de gérer l’ensemble des flux e-commerce et de déployer son activité sur différentes marketplaces.
Pour commencer, pouvez-vous nous clarifier la différence entre marketplaces et e-commerce ?
Stéphane Jauffret : L’e-commerce est la discipline générale de vente sur Internet. Dans l’e-commerce général, il y a 2 cases : retailers et marketplaces. Le retail consiste à acheter des produits, les stocker et les vendre en son propre nom. Et puis, à côté, il y a les marketplaces qui regroupent un ensemble de vendeurs ayant un site e-commerce. Les deux peuvent coexister. C’est le cas d’Amazon par exemple, qui de la vente de DVD et de livres a élargi son catalogue avec des produits high-tech. Cette catégorie ne constituant pas son cœur de métier, Amazon a donc proposé à des fournisseurs spécialisés de vendre leurs produits sur son site. Au lieu de leur acheter des produits pour les revendre, les fournisseurs vendent en direct sur la marketplace, qui empoche une commission au passage.
Comment expliquer le succès des marketplaces ?
Le succès fondamental du modèle marketplace tient dans la flywheel. En effet, le principe d'une marketplace repose sur un cercle vertueux : plus il y a d’acheteurs, plus il y a de vendeurs et plus il y a de vendeurs, plus les prix baissent. C’est une spirale positive qui s’auto-alimente.

La marketplace bénéficie au consommateur, donc ?
Oui, en termes de prix, mais pas seulement. En centralisant l’ensemble des offres les marketplaces permettent aux consommateurs de gagner du temps mais aussi de donner une vie à des produits qui ne sont pas achetés dans le commerce. Prenons l’exemple du secteur du bricolage, qui possède des millions de références. Les marketplaces comblent un manque, à savoir celui de permettre aux commerçants de diffuser des catalogues très larges. Ici, la question du prix se pose différemment. Si une marketplace propose une pièce, que je ne peux trouver nulle part ailleurs, même au prix plein, je l'achète.
Les délais de livraison, de plus en plus courts, participent-ils au développement des marketplaces ?
Indépendamment des marketplaces, les coûts et les délais de livraison dans l’e-commerce sont les premiers freins à l'achat. En vous rendant en boutique, un client obtient immédiatement le produit recherché sans coût supplémentaire. En toute logique, en résolvant ces freins, on enlève les freins au e-commerce.
Pour les marketplaces l’enjeu est de maintenir les délais et une fiabilité de livraison pour l'ensemble de ses vendeurs, car par définition, l'ensemble est moyen, c’est mathématique. La difficulté qui se pose alors et qui est spécifique aux marketplaces est de maintenir la qualité du service, pour continuer à bénéficier de la spirale vertueuse de la flywheel.
Et comment les marketplaces font-elles pour augmenter la moyenne générale ?
Premièrement, en mettant en place et en imposant aux vendeurs des metrics de qualité et de performance très élevés (service, litige, résolution de problèmes, etc). Deuxièmement en proposant des systèmes de livraison en propre (fullfilment). On a donc vu apparaître Octopia pour Cdiscount, Amazon FBA (Fulfilled by Amazon), ou encore Mano Fulfillment. D’autres ont développé des systèmes de gestion logistique ou ont ouvert leurs entrepôts aux marchands. De cette façon ils peuvent garder le contrôle. Souvent, lorsqu'un marchand n'est pas suffisamment bon d'un point de vue logistique, il se voit imposer de passer par la logistique de la marketplace. Ces process permettent de réduire la variance inhérente au fait de travailler avec des milliers de vendeurs.
Un marchand peut-il être exclu d'une marketplace ?
Si un marchand ne remplit pas les critères de performance demandés par les marketplaces, il peut être exclu. Ça fait partie du contrat. Ce sont des choses qui évoluent dans le temps et qui, je l’espère à terme seront mieux encadrées car de nombreuses petites entreprises dépendent des marketplaces. Elles sont dépendantes de leur bon vouloir. Une défaillance logistique, même temporaire, peut suffire à ce que leurs comptes soient fermés et qu'elles soient exclues définitivement des marketplaces.
Est-ce que ça ne donne pas trop de pouvoir aux marketplaces ?
Oui, tout cela est un peu hégémonique. Il n’y a pas tellement de discussions, ni de négociations. Chez certaines marketplaces, les vendeurs les plus importants sont en mesure de négocier, mais c'est rare. En revanche, les marketplaces sont en concurrence les unes avec les autres, un marchand peut donc changer de place de marché. Mais dans les faits, on sait très bien que les ventes se concentrent sur un petit nombre de sites généralistes. Selon moi, il est nécessaire de construire cette réglementation et ce dialogue avec les marketplaces. Il y a quelques années une charte pour améliorer le dialogue entre marketplaces et marchands avait été mise en place par Mounir Mahjoubi. Elle n’a malheureusement pas eu beaucoup d'effet. Il y a encore du chemin à parcourir.
Environnementalement parlant, y a-t-il des réflexions en cours ?
Les marketplaces ne sont pas plus nuisibles que l’e-commerce. La pollution numérique n’est pas un sujet qui leur est spécifique. Il faut néanmoins le prendre en compte.
En revanche, il faut reconnaître que nous avons affaire à des plateformes globales, qui via la spirale de la flywheel, accueillent de très nombreux vendeurs, répartis sur l’ensemble de la planète. Quand vous achetez un produit sur une marketplace, il y a donc 1 chance sur 3, si ce n’est plus, qu’il vienne de Chine. Quand vous achetez un produit à 15 euros et que ce produit est fabriqué à des milliers de kilomètres, dans des conditions qui ne prêtent pas à la traçabilité, alors que vous pourriez le payer 18 et l'acheter en France... ça pousse à réfléchir ! Il y a un vrai débat à avoir sur le sujet, qui ne concerne pas que les marketplaces ! Les choses évoluent toutefois un peu. En novembre 2021, la plateforme de vente en ligne Wish a été déréférencée des moteurs de recherche à la demande de Bercy au motif de vendre des produits dangereux. C'est un pas vers une responsabilisation citoyenne. Mais disons qu'il y a encore du chemin.
Participer à la conversation