
À l'ère du capitalisme cognitif, il convient aux entreprises de capitaliser autant sur la personnalité des individus que sur leur compétences intellectuelles. Quelle place peuvent donc se faire les introvertis dans une société tournée vers l’interaction ? Comment évoluer en tant qu’introverti dans un monde du travail où l’exubérance prévaut ?
En 2020, la pandémie du coronavirus a instauré une pause dans nos vies sociales et nous a contraints à vivre avec un certain isolement. Un isolement qui a pu être bénéfique aux introvertis. Dans une société dans laquelle on voue un culte au dynamisme, à l’art du récit et à l'autopromotion, l’introverti doit se frayer un chemin – parfois sinueux – dans ses équipes de travail.
Ainsi, alors qu’il n’a, le plus souvent, pas de difficultés à tisser des liens dans sa vie personnelle, il peut cependant appréhender la collectivité de l’entreprise.
L’introverti ou le culte de la contemplation
La dichotomie introverti / extraverti est formulée pour la première fois par le psychiatre suisse Carl Gustav Jung au début du XXe siècle. Elle définit des individus caractérisés par leur « reflux vers le monde intérieur du sujet ». En d’autres termes, ce sont des personnes qui se ressourcent dans la réflexion et le repli sur eux-mêmes.
Pourtant, les introvertis ne sont pas forcément timides. Ces derniers conspuent le principe de se ridiculiser car, étant plus attentifs à la société et son fonctionnement, ils demeurent conscients de leur retrait, ce qui amplifie leur discrétion. Selon le psychanalyste français Patrick Avrane, un introverti n’est pas un misanthrope : il ressent la nécessité de se replier sur soi-même sans pour autant avoir peur du jugement d’autrui.
Laurie Helgoe, psychologue clinicienne, éducatrice et autrice américaine différencie ainsi le timide de l'introverti : « Le timide a des besoins de sociabiliser plus forts que ceux de l'introverti. À la différence de ce dernier, une personne timide va rencontrer plus de difficultés à actualiser ses besoins sociaux et va se sentir seule. » Pour la psychologue, le sentiment de solitude est une caractéristique qui empêche l'individu de participer aux interactions sociales selon ses envies.
Le stigma du timide
Dans nos sociétés vouées à l'image et la loquacité, les individus sont conditionnés à se mettre en avant et se faire entendre parfois même dès l'enfance. Alors que les extravertis naviguent aisément dans ces situations, les introvertis y vont à tâtons. Ainsi, à l’école, un introverti sage et attentif doit acccentuer ses efforts de participation afin d'être considéré comme bon élève. Dans un nouveau groupe d’amis, il peut aussi avoir du mal à s’exprimer et fait souvent face à des critiques sur sa discrétion, ainsi labellisé en tant que « timide ».
Cette difficulté à s’insérer dans une culture qui favorise des qualités généralement associées aux extravertis, (l’affirmation de soi, le franc-parler et la réactivité…) peut avoir des effets sur leur confiance en eux. En effet, plus tard, dans les groupes de socialisation secondaires, la stigmatisation des introvertis peut déteindre sur leur épanouissement dans le monde professionnel. Pourtant, les intérêts et les idées des introvertis ne sont pas moindres et peuvent être un excellent atout au travail.
L’adéquation entre un métier et un tempérament
« Paris est comme une fête » disait Hemingway. Si poétique soit-elle, cette vision de notre société n’est pas adaptée à tous. Alors qu’il est encore mal vu de refuser de manière répétée un pot avec les collègues, les introvertis sont confrontés à la constance des échanges qu’est la vie professionnelle. Pourtant, dans un monde du travail en pleine mutation où les usages d’entreprises incluent les diversités, les profils introvertis peuvent faire preuve de qualités primordiales au monde du travail.
En effet, ces derniers peuvent être productifs dans des cadres de travail où l’obligation des interactions ne leur porte pas préjudice. Afin d'inclure ses employés introvertis en situation d'interaction – inévitable dans le monde du travail – il convient de mettre en place des agendas de réunions concis et des responsabilités de missions claires. Dans leur silence choisi et non subi, les introvertis sont ainsi valorisés pour leur réflexion, leur prise de décisions réfléchies, leur évaluation du risque ainsi que leur capacité d’écoute. Ces qualités peuvent faire d’eux d’excellents managers ou recruteurs.
Il est donc essentiel de déconstruire les mythes de l’introversion afin d’inclure efficacement ses employés introvertis. Pour un cadre professionnel engageant et productif, il convient ainsi aux entreprises de mettre en place des pratiques de travail plus inclusives.
S’épanouir dans le monde du travail
Le monde du travail d’aujourd’hui n’est pas exclusivement réservé aux personnalités extraverties. En effet, selon un sondage pour USA Today réalisé en 2006, en moyenne 40 % des cadres d’entreprise aux États-Unis seraient introvertis. Concrètement, les introvertis ne sont pas handicapés par leur personnalité, cependant certaines pratiques du monde de l’entreprise d’aujourd’hui peuvent leur être pesantes.
Par exemple, le brainstorming, exercice de réactivité, est typiquement un exercice d’extraverti. Pour pallier au manque de prise de parole des introvertis, un brainstorming peut se réaliser préalablement sur papier ou alors se faire en deux étapes. Cela va permettre aux profils plus discrets et réfléchis de prendre la parole en deux fois et à ceux plus affirmés de revenir sur leurs propositions. Ce système permet ainsi d’équilibrer les communications et de créer une synergie de groupe en laissant une place au recul et à la réflexion.
Pour chaque travailleur, il est nécessaire d'identifier l'environnement de travail qui convient à sa stimulation mentale et à sa productivité.
Laurie Helgoe, psychologue clinicienne (traduit de l'anglais)
Afin d’optimiser la productivité des équipes, il est par ailleurs nécessaire de mettre en place des espaces adaptés. En effet, la géographie de l’espace de travail est un outil que les équipes de management peuvent mettre à profit de leur rendement. Avec l'avénement des open spaces, les interruptions incessantes et le bruit constant sont un frein à l'efficacité des introvertis. Surpeuplé et dynamique, l'open space peut aussi rimer avec malaise, et les introvertis vont alors privilégier des environnements de travail hybrides comme le télétravail.
Ainsi, les tempéraments introvertis trouvent dans la réflexion un sentiment de sérénité. En retour, l’adoption par les entreprises de pratiques incluant les différents profils cognitifs va permettre des économies d’énergie, de temps et d’argent considérables.
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