
L'avenir du travail sera hybride ou ne sera pas. C'est du moins ce que révèle une étude menée par l'ANDRH. Entretien avec Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH et DRH du groupe AFNOR.
Full remote, full bureau, télétravail 2, 3 puis parfois 4 jours… Ces deux dernières années, le travail a connu quelques bouleversements. En juin 2020, l’ANDRH (Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines) et le BCG publiaient une première enquête sur le futur du travail. Une deuxième édition vient de sortir. Nous avons demandé à Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH et DRH du groupe AFNOR de nous éclairer.
L’ANDRH mène pour la deuxième année consécutive cette enquête auprès de 588 DRH pour récolter leurs visions quant au futur du travail. Entre-temps, le COVID a moins pesé sur nos modes de travail. Que raconte l’enquête de l’évolution des modes de travail ?
Laurence Breton-Kueny : C’est l’un des grands enseignements de l’enquête. Le travail hybride se normalise. On est par ailleurs tout à fait sorti du mythe du « tout télétravail » (télétravail à temps complet, ndlr). Dans la première édition de l’étude, en 2020, les DRH l’avaient d’ailleurs déjà bien noté : l’idéal de temps de télétravail était déjà évalué à deux jours par semaine. Deux ans plus tard, et même lorsque nous envisageons le télétravail à horizon 2025, la durée est constante. Si nous n’envisageons pas d’augmenter ce nombre de jours de télétravail, on constate tout de même une hausse du nombre de métiers éligibles au travail à distance. 40 % des DRH affirment avoir ouvert davantage de postes au télétravail – ou du moins, y réfléchissent.
Les travailleurs de première ligne sont-ils toujours exclus de l’éligibilité au télétravail, de facto ?
Pas nécessairement. Certes, il ne s’agit pas d’un jour de télétravail par semaine. Dans leur cas, on parle de forfait de jours de télétravail. Les hôtes de caisse, les infirmières ont aussi à assumer des tâches administratives, de gestion de commandes, des dossiers à renseigner. Dans ce cas, le télétravail est possible. Plus les postes sont polyvalents, plus il est possible d’ouvrir éventuellement ces postes au télétravail.
Dans l’étude, vous évoquez deux grands bouleversements pour l’entreprise face à l’impératif de flexibilité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, c’est à la fois l’organisation du travail, mais également les pratiques de management qui sont bouleversées par la normalisation du travail hybride. 90 % des DRH interrogés observent que les candidats post-COVID ont des attentes différentes. Ces attentes sont axées autour du « où » et « quand » se déroule le travail. 70 % d’entre nous (les DRH, ndlr) estiment que la flexibilité est une des attentes prédominantes des candidats. 56 % évoquent un désir des candidats de davantage de personnalisation dans l’organisation du travail. En somme, 76 % pensent que proposer des modalités de travail hybride est important, voire indispensable.
On note une évolution nette dans la perception des DRH des domaines ayant été les plus bouleversés par le développement du travail hybride : en 2020, l’enquête établissait que les pratiques managériales avaient été les plus impactées, puis les politiques et pratiques RH de l’entreprise, l’organisation du travail et enfin l’organisation des espaces de travail de l’entreprise. En février 2022, l’organisation du travail occupe, comme je le disais, la première place, les pratiques managériales, la deuxième ; les politiques / pratiques RH la troisième. Seule l’organisation des espaces de travail se maintient à la même position.
Pourtant, l’organisation des espaces de travail est vraiment corrélée à l’organisation du travail.
Auriez-vous des exemples ?
Il y a ce mythe que la pandémie aurait amené une révolution des espaces de travail. Pas pour tous. 38 % des DRH pensent que l’hybridation du travail a permis une réduction des coûts de fonctionnement, par exemple.
Évoquons le cas des pratiques managériales. C’est effectivement important. 93 % des DRH considèrent que le travail hybride aurait fait évoluer le rôle du manager. Dans une autre enquête menée, nous avions effectivement observé une évolution du management entre ce qu’on appelle la « délégation contrôle » (un des 5 modèles de délégation, ndlr) et la mise en avant des soft skills. Et de fait, les candidats ont des attentes différentes, et le manager doit y répondre.
Et sommes-nous, au niveau des entreprises, réellement armés pour répondre à ces attentes ?
Au niveau de l’ANDRH, nous recommandons une évolution du Code du travail qui n’est pas adapté au modèle hybride.
Chez l’employeur-entreprise, si le salarié se rend au bureau, la réglementation existe et est respectée. Le salarié évolue dans un cadre que l’entreprise supervise. Un problème se pose en cas de travail à distance. Nous pouvons en tant que DRH demander des documents, l’assurance, la conformité électrique, un engagement sur l’honneur de disposer d’un réel environnement de travail. Cependant nous avons toujours notre responsabilité d’employeur engagée. Si vous prenez l’exemple de la pause méridienne (pause déjeuner, ndlr), on sait que tout un chacun peut sortir. La question se pose si la responsabilité de l’employeur doit être engagée sur le trajet en-dehors ou lors de cette pause réalisée à l’extérieur, alors que le salarié entame une sortie, quelles qu’en soient les raisons.
Parlons pratiques managériales. Quelle est l’évolution du rôle du manager dans ce modèle de travail hybride ?
On remarque que donner du sens et motiver figurent toujours en tête. Faire monter en compétences, qui occupait la deuxième position en 2020, est à présent en troisième. Contrôler et évaluer le travail effectué qui était en 8ème position occupe la quatrième. L’expérience du travail à distance l’a prouvé : c’est aussi le rôle du manager de contrôler si on souhaite éviter les dérives des deux côtés. On a observé qu’il y avait aussi bien des décrocheurs que des personnes qui s’investissaient beaucoup trop, ces deux dernières années. Il est également intéressant de noter que le fait de déléguer, qui était en sixième position en 2020, est désormais en deuxième position.
Comment expliquer ce dernier chiffre ?
L’explication réside dans l’autonomie. À savoir qu’avec le travail à distance, les gens ont gagné une certaine autonomie. Et qui dit autonomie, dit délégation. Le management le plus strict qui applique une forme de délégation-contrôle traditionnel, à savoir qu’on surveille l’équipe, ne marche plus. Les individus à qui on a donné ou demandé d’être autonomes ont besoin qu’on leur délègue des tâches, mais de manière formelle.
On parle beaucoup de Grande Démission depuis quelques mois en France. Quel est votre regard sur ce phénomène ?
Nous ne sommes pas du tout dans le même cas de figure qu’aux États-Unis. En France, nous remarquons un certain turn-over sur des métiers en tension. Cette tension est liée à l’offre et à la demande. On ne note pas de Grande Démission. En revanche, nous observons une augmentation des demandes de ruptures conventionnelles – que nous sommes souvent amenés à refuser. Nombreuses sont les personnes à s’être perdues pendant ces années de crise. En activité partielle prolongée, bien des métiers avec leurs contraintes apparaissent moins séduisants.
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