
77 % des marketeurs américains s’intéressent aux technologies de dreamvertising, révèle une étude de l’American Marketing Association. Mais c'est quoi, au juste, le dreamvertising ?
« C’est un rêve pour quelques marketeurs isolés (…). À l’instar de la publicité subliminale, nous sommes encore très loin de pouvoir certifier les résultats des techniques de Dreamvertising », commentait dans un article de L’ADN Business le directeur général de Wunderman Thompson France, Virgile Brodziak. Dans son rapport listant les 100 tendances de l’année 2022, l’agence pointait le dreamvertising comme l’une des tendances marketing à observer et qui a beaucoup fait parler en 2021. Et pour cause, la marque de bières Molson Coors a donné, le temps d’une expérimentation et à l’occasion du Super Bowl, l’assaut aux rêves de quelques volontaires.
Sur le papier, rien de bien neuf sous le soleil. L’incubation de rêves (l’acte d’influer sur ses rêves) fascine depuis des siècles. Dans l’Antiquité, les Égyptiens, les Grecs et aussi les Berbères y avaient recours dans leurs pratiques spirituelles pour rencontrer leurs dieux dans leur sommeil. Ils dormaient dans des lieux sacrés pour être soignés de leurs maux ou manipulaient des reliques ou icônes pour parler dans leurs rêves aux esprits.
La science des rêves est désormais autrement sophistiquée, et elle a désormais des applications commerciales grand public. Autrement dit, certains marketeurs s’y intéressent très fort et ont produit quelques itérations. Opération com’ ou nouveau champ – quelque peu douteux – de la publicité ?
« Dream a little beer for me »
« Regardez ce film trois fois, soyez attentifs au son, allez dormir et oubliez ces cauchemars de quarantaine », telles étaient les instructions données par Molson Coors dans un communiqué un jour avant le Super Bowl. Plus que les rêves, la marque souhaitait d’abord damer le pion à la marque sponsor de l’évènement, Anheuser-Busch. Pour concevoir sa vidéo, l’entreprise s’est associée à une psychologue spécialisée dans l’étude des rêves et professeure à Harvard, Deirdre Barrett qui a donc conçu une vidéo, « Coors Light Big Game », supposée stimuler les rêves de ses spectateurs. L’ambiance est psychédélique, quelques images subliminales qui glissent des images associées à l’univers de la marque, un humain fait d’eau qui court en suspension dans la vallée, des canettes de bière (Coors, bien sûr) qui dansent, un poisson qui parle. L’expérience suscite le malaise, mais est drôle à regarder. En tout cas, on ne doute pas qu’au bout de trois visionnages et au bord du sommeil, n’importe qui rêverait de bière ou a minima de liquide.
Pour promouvoir sa campagne, le brasseur a accordé 50 % de réduction sur ses packs de bière à tout internaute qui partageait le lien à un ami. Mais il s’est aussi offert les services du chanteur superstar Zayn Malik qui a donc dû regarder la vidéo trois fois en live sur Instagram. Il a qualifié l’expérience de « messed up » (perturbante, ndlr).
Il y a eu par le passé d’autres expériences notables d’incubation de rêves (targeted dream incubation en anglais) ou d’observation des rêves dans le monde publicitaire.
En 2020, lors du lancement de la Xbox Series X, le réalisateur Taika Waititi réalise un film « Lucid Odyssey », mettant en scène l’observation des rêves – et les rêves d’une gameuse connue, MoonLite Wolf. On y voit même un chat paré d’une armure géante qui danse sur de la techno dans l’espace. Ici, pas d’incubation de rêves, mais l’observation de rêves pour concevoir un film publicitaire. Un autre film montre d’autres gamers stars faire l’objet d’une expérience d’incubation de rêves. Des chercheurs spécialisés en rêve les stimulent, leur parlent pendant leur sommeil. Et ils réagissent, certains chantent ou décrivent leurs rêves.
Le burger qui provoque des cauchemars
En 2018 pour Halloween, Burger King lançait un burger, le Nightmare King, qui provoquait, assurait l’enseigne, des cauchemars. Pour appuyer leurs dires, une étude a été menée auprès de 100 personnes qui ont dû manger au dîner pendant 10 jours de suite le fameux burger. « On estime que 4 % de la population fait des cauchemars », commentait alors le chercheur en sommeil, en charge de l’expérience, Jose Gabriel Medina. « Ce chiffre est multiplié par 3,5 » pour les 100 cobayes du Nightmare King. L’expérience ne dit pas si c’est plutôt la combinaison de certains ingrédients ou la lourdeur du dîner qui engendre ces mauvais rêves.
En tout cas, l’expérience menée par Molson Coors a suscité des inquiétudes dans la communauté scientifique. Des chercheurs de Harvard, de Montréal et du MIT ont publié une lettre, signée par une quarantaine de leurs collègues, alertant sur les dangers du dreamvertising. « La publicité ciblée grâce à l’incubation de rêves n’est pas un gadget un peu fun, c’est une pente glissante. Semer des rêves dans la tête des gens à des fins commerciales – d’autant plus sur des produits addictifs – soulève de sérieuses questions éthiques », peut-on lire dans cette lettre publiée en juin 2021. Ils y rappellent aussi, et c’est le plus intéressant, le potentiel créatif et curatif de l’incubation des rêves.
Les rêves pour arrêter de fumer
Influer sur les rêves peut stimuler la créativité, avoir un effet sur nos humeurs et même aider à traiter des addictions. Pour nourrir sa créativité et accessoirement se reposer, Salvador Dalí avait recours à la sieste cuillère. Lorsqu’il avait un problème à résoudre, il se blottissait dans un fauteuil, une cuillère et un plateau en métal dans les mains et s’endormait avec son problème en tête. Le bruit de la cuillère et du plateau tombés le tirait de son sommeil express. D’après lui, ces nano-siestes suffisaient à stimuler sa créativité.
Une expérience récente a prouvé qu’en exposant un fumeur, pendant la phase de sommeil léger, à une odeur d’œufs pourris mêlée à des effluves de tabac, le nombre de cigarettes grillées la semaine suivante chutait de 30 %. Le sujet nous laisse songeurs.
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