
Favoriser l'engagement citoyen d'une entreprise grâce à ses salariés, c'est le pari de la startup Vendredi, une plateforme SaaS qui facilite le passage à l’action des entreprises et de ses collaborateurs. Entretien avec Félix de Monts, fondateur de l'entreprise.
94 % des Français souhaitent s’engager. 97 % des dirigeants aimeraient que leur entreprise soit une partie de la solution. Et si les salariés étaient la force motrice de l’engagement de leur entreprise ? C’est l’idée derrière la startup Vendredi qui aspire à faciliter le passage à l’action des entreprises via leurs collaborateurs. Créée en 2018 par Félix de Monts et Julian Guérin, Vendredi a passé récemment un cap. Celle qui jusqu'ici avait fait le choix de l'autofinancement par conviction vient d'annoncer avoir bouclé avec succès sa première levée de fonds, de plus de 4 millions d’euros, pour poursuivre sa mission. D’ici 2023, l'entreprise s'est donné pour mission d’aider « 1 500 entreprises, de la PME au grand groupe, à réussir leur transition mais aussi 5 000 associations à bénéficier d’aides ».
« Permettre à chaque salarié de changer le monde sans changer de travail », qu'entendez-vous par là ?
Félix de Monts : Notre vision est simple : le modèle de société qu'on a construit ne permet pas de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux parce qu'on oppose d'un côté le monde du business (qui poursuit le profit), au monde de l'intérêt général. Cette opposition n’a aucun fondement et ne correspond pas aux besoins de la société. Partant de ce constat, en 2018, nous avons fondé Vendredi, une plateforme d'engagement citoyen des entreprises, afin de réconcilier entreprise et impact positif, temps de travail et bien commun.
Pourquoi avez-vous attendu 4 ans pour faire votre première levée de fonds ?
Pour plusieurs raisons. D'une part, il y a une évolution de la perception des entreprises concernant leur rôle. Elles ont compris qu'elles devaient agir et elles sont prêtes à le faire. D'autre part, il y a une urgence environnementale et surtout sociale qui n'est pas réglée. Et enfin, on a la chance d’avoir un marché qui est en train d'émerger. C'est une bonne chose mais en contrepartie, on voit arriver de plus en plus d'acteurs qui viennent avec les recettes d'un monde contre lequel on se bat.
Notre raisonnement est donc le suivant : si nous n'avons pas suffisamment de capacités financières pour nous imposer, d’autres acteurs feront les choses à notre place au détriment des valeurs qui nous paraissent importantes. Nous avons donc décidé de nous ouvrir à des investisseurs pour accélérer notre développement et répondre à l’urgence sociale et environnementale.
Vous souhaitez incarner l'anti-licorne...
Depuis nos débuts, nous faisons de l’impact social le cœur de notre modèle. C’est pourquoi nous avons opté pour le modèle d’entreprise ESUS1 (Entreprise solidaire d’utilité publique) afin de garantir des principes d’échelles de salaires (1 à 7), de lucrativité limitée comme de gouvernance démocratique. Nous faisons partie des 186 entreprises françaises labellisées B-Corp2.
Cette levée de fonds n’est pas une fuite en avant, bien au contraire. Il était important pour nous d’avoir les moyens de nos ambitions et de faire appel à des investisseurs en accord avec les valeurs que nous portons. C’était également important pour nous de proposer à nos entreprises partenaires d’investir dans notre projet. Il était impossible de faire souscrire tous nos utilisateurs et associations partenaires lors de ce tour mais proposer aux CEO était le premier pas vers cette gouvernance inclusive avec toutes nos parties prenantes.
Comment mobilisez-vous les salariés en entreprise ?
La RSE, c’est un peu comme la prose de M. Jourdain, tout le monde en fait sans trop le savoir. Bien sûr d'un point de vue d'expert, on peut trouver certaines actions illusoires. Pourtant, chaque chose a son importance. Il faut réussir à valoriser toutes les bonnes intentions en sensibilisant et en orientant vers des actions qui ont un réel impact.
C'est précisément l'objet de notre démarche : prendre les gens là où ils sont, au degré de maturité où ils se trouvent avec la capacité d’investissement qu’ils ont. Ensuite, la question est de savoir comment amorcer et opérer le changement systémique. C’est là que ça se complique et que nous entrons en scène.
Nous partons du constat que les entreprises sont démunies, pour diverses raisons. La RSE est un sujet assez nouveau, qui s'articule autour de nombreux sous-sujets comme le handicap, l'égalité des chances, l'égalité femmes-hommes, l'empreinte carbone, l'empreinte numérique, qui eux-mêmes évoluent beaucoup. Il est donc difficile pour les entreprises de bénéficier de toute l'expertise en interne. Pour les accompagner on intervient alors à trois niveaux : la sensibilisation, le soutien aux associations et la transformation interne.
Nous proposons une plateforme SaaS qui permet aux sociétés de mobiliser leurs employés sur leur temps professionnel comme personnel, via une diversité d’actions allant de la sensibilisation aux enjeux sociaux et environnementaux (défis et challenges en équipe) au soutien à des associations (mentorat, mission de compétences, team-building solidaire, collecte…).
Reprenons à nouveau votre slogan « permettre à chaque salarié de changer le monde sans changer de travail ». Vous placez le curseur de votre action sur le monde de l'entreprise. Pourquoi ?
Les entreprises sont traversées par des questions sociales et environnementales très fortes : politique de rémunération, égalité femme-homme, emploi des personnes handicapées, réalisation des produits... Pour agir et se mobiliser, les salariés doivent comprendre les sujets et les enjeux qu’ils recouvrent ainsi que les biais qui existent. Comprendre à l’échelle de l'entreprise permet ensuite de mobiliser à l'échelle de la société. La sensibilisation et la compréhension à l’échelle interne sont pour nous les premiers leviers pour agir en externe.
C'est souvent la question qui tue... ou qui fâche. Pensez-vous que RSE et croissance économique soient compatibles ?
Tout est politique. La question est de savoir quel est le système qu'on met en place. Qu'est-ce qu'on encourage et qu’est-ce qu’on interdit ? Le rôle du politique est donc décisif. Il faut réglementer et réguler.
Ensuite, qu'entend-on par croissance ? Dans un monde fini, il n'y a pas de croissance infinie. La question qui se pose est de savoir ce qu’on mesure et ce qu’on valorise. On peut avoir des modèles de croissance différents, basés sur des sujets circulaires. Dans ce cas-là, on peut faire de la croissance infinie avec comme critère de mesure le bien-être, la qualité de vie... Évidemment, si on part du principe que la croissance est basée sur la consommation de ressources limitées, croissance et RSE ne sont pas compatibles.
Il faut donc transformer en profondeur les modèles. Les entreprises peuvent et doivent réfléchir et agir pour plus de croissance durable.
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