
Le luxe n’échappe pas aux sirènes des métavers et comme les retailers, il y plonge. Avec volupté ? Pas tout à fait. Interview.
Le 24 mars prochain, la plupart des grandes maisons de luxe se retrouveront sur le métavers Decentraland pour participer à la toute première Fashion Week d’ampleur. Stéphane Galienni dirige l’agence digitale spécialisée dans le luxe, Balistik Art. Il est un pionnier des métavers – il accompagnait déjà les maisons de luxe sur Second Life. L’entrepreneur a sorti une première étude à propos des NFT, WTF NFT, et s’apprête à publier une seconde étude, cette fois-ci consacrée au phénomène des métavers « Luxe Meta-Morphosis ».
Le métavers Decentraland et la marketplace de NFT UNXD s’apprêtent à lancer la toute première Fashion Week virtuelle qui aura lieu avec de très nombreuses marques de luxe. On a vu que les retailers s’intéressaient fortement aux métavers. Le luxe aussi. Comment analysez-vous l’intérêt du secteur du luxe ?
Stéphane Galienni : Il y a plusieurs niveaux de lecture à avoir. L'élément déclencheur a été l'annonce de Mark Zuckerberg autour de Meta qui a beaucoup influencé les annonceurs. C’est drôle, parce que Second Life existe depuis bientôt 20 ans. Face aux métavers et aux crypto, on constate quatre postures parmi les marques : les avant-gardistes, les opportunistes, les pragmatiques et les réfractaires. Commençons par les avant-gardistes. Gucci en fait partie. La marque n’en est pas à son premier coup d’essai. Elle avait déjà investi le terrain des émojis, rhabillé des avatars sur Zepeto et plus récemment, acheté un terrain sur The Sandbox. Leur stratégie est claire : se rendre là où évoluent les générations Z et Alpha pour les séduire, et dans un deuxième temps, vendre des digital twins de vêtements ou d’accessoires.
Les marques se sont réveillées au début de la pandémie. Beaucoup étaient « assignées à résidence », et se retrouvaient en ligne. Le mouvement des marques vers les mondes virtuels a été initié sur Animal Crossing, et aujourd'hui, elles vont se retrouver sur la Fashion Week virtuelle du 24 mars prochain – où il y aura des défilés, mais aussi des boutiques virtuelles.

Il y a les métavers et crypto opportunistes. Ce sont les marques de luxe qui ont besoin d’accroître leur notoriété – et qui considèrent que si elles sont les premières à investir le terrain des métavers, elles bénéficieront d’un effet buzz et seront identifiées comme des marques modernes et innovantes. Les crypto-pragmatiques sont probablement les moins dans la lumière. Elles sondent le terrain, prennent le temps de penser stratégie. Ce sont souvent de grandes maisons qui ont une image de marque très codifiée et qui font particulièrement attention à leur réputation en ligne. Elles ne se précipitent pas. Elles ont des clientèles à qui elles vendent cher leurs produits, elles ne souhaitent surtout pas gadgetiser leur communication. Et enfin, il y a les réfractaires.
Y en a-t-il beaucoup ?
Autant face aux NFT, oui, autant les métavers attirent et interrogent a minima la plupart des marques. Les réfractaires aux métavers sont souvent des marques qui résistent aux réseaux sociaux. La mèche est tout de même allumée pour les métavers. Oui, il y a toujours ce fantôme de Second Life qui revient. Chez Balistik Art, on avait accompagné Jean-Paul Gaultier, Lancôme, Richemont, Thierry Mugler et bien d’autres sur la plateforme. Mais on était en 2008 et Mark Zuckerberg venait de débarquer avec Facebook.

La grande différence avec aujourd’hui est qu’à l’époque, certes, la techno existait, mais le débit Internet ne suffisait pas. Il n’existait ni blockchain, ni NFT. On évoluait sur Second Life sur son ordinateur. À présent, on peut construire dans ces mondes virtuels immersifs, mais aussi échanger de la valeur. Tout ce que la personne achète sous forme de NFT est susceptible d’être revendu et surtout, de rapporter de l’argent.
Les maisons ont donc un intérêt certain à tester ces univers. Elles ont toujours eu des difficultés à toucher les cibles en dessous de 20 ans. Face au luxe, dans la construction identitaire d’un individu, il s’achètera son premier objet de luxe, sac, chaussures ou vêtement avec son premier emploi. Plus jeune, il achète plutôt du streetwear. Le parfum n’est plus forcément un produit d’appel alors qu’une jolie robe pour un avatar sur Zepeto l’est.
Et il y a aussi, me disiez-vous plus tôt, les crypto-riches…
Oui, The Sandbox, par exemple, commence à être envahi par des investisseurs, mais aussi des stars ou des ultra-riches qui possèdent des portefeuilles numériques. Ces crypto-riches se sont enrichis grâce au bitcoin, aux NFT et au virtual real estate. Ce sont des cibles particulièrement difficiles à identifier pour les maisons de luxe. Ils ne s’exposent pas sur les réseaux sociaux, pour ne pas attiser la convoitise de cambrioleurs ou de kidnappeurs. Sur Instagram, ils possèdent des comptes privés. Avec les métavers, c’est plus simple.
Prenons l’exemple de Dolce & Gabbana qui a organisé sur UNXD une vente aux enchères d’une collection physique et virtuelle – sous forme de NFT. En tout, ces objets de luxe ont trouvé acquéreurs pour un total de 5,8 millions d’euros. Pour entrer dans la salle du défilé virtuel, il fallait entrer son code de wallet, contrairement au « Web1 » et ses adresses mail.
Ces vêtements virtuels sont-ils utilisables sur toutes les plateformes ?
C’est une bonne remarque. Pour l’heure, on parle surtout des marques qui souhaitent se lancer sur les métavers, créer leur univers. On est au tout début. Le concept d’interopérabilité est l’une des frontières technologiques : si vous achetez un vêtement virtuel sur Decentraland, vous ne pourrez pas forcément le porter sur Zepeto. C’est en cours. C’est d’ailleurs l’une des 13 barrières technologiques identifiées par Mark Zuckerberg dans le développement des métavers. Évidemment, il dit aussi ça pour contrer toutes ces startups qui vendent déjà leurs produits.
Pour un événement, j’ai avatarisé un client grâce à une application partenaire de scan 3D. On peut utiliser son avatar dans plusieurs métavers différents à partir du fichier numérique créé. Mais vous savez, il existe aussi déjà des startups françaises qui ont créé des cabines où tout un chacun peut être avatarisé en 30-40 secondes. Ces technologies sont encore en cours de développement, mais ça arrive !
Vous le racontiez plus tôt, certaines maisons avancent prudemment sur le terrain des métavers. Elles possèdent un univers de marque très codifié. Comment réagissent-elles face au détournement possible de leurs objets de luxe ?
Il existe un premier cas de jurisprudence, l’affaire du MetaBirkin. L’artiste Mason Rothschild a créé une série de 100 interprétations NFT de l’iconique sac Birkin. La maison Hermès a porté plainte. L’artiste s’est défendu en invoquant la liberté d’expression et sa licence artistique, et a fait référence à Andy Warhol et ses soupes Campbell. Nike, qui a racheté récemment le fabricant de baskets virtuelles RTFKT, s’est retourné contre un autre distributeur de Nike virtuelles. Ces affaires traduisent l’arrivée d’une deuxième vague NFT, à mon sens, et un besoin de législation. Mais comment créer une législation qui s’adapte à toutes les cultures juridiques des pays ?
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