
Alors que la pandémie nous laissait entrevoir la promesse d’un monde moins pollué, un nouveau rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) constate déjà un rebond des émissions mondiales de CO₂. La relance économique l’emporterait-elle sur la transition écologique ?
La crise a agi comme un révélateur en démontrant l’interconnexion entre performances économiques et exigences environnementales et sociétales. En effet, suite aux différentes périodes de confinement, les émissions mondiales de CO₂ ont enregistré une chute historique de près de 6 % en 2020, une première depuis la seconde guerre mondiale. Conscient de cet état de fait, António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, a rappelé lors du sommet climat (avril 2021) aux dirigeants du monde entier l’urgence de prendre des mesures en faveur du climat. « Mère Nature n'attend pas, a-t-il déclaré. Nous avons besoin d'une planète verte – mais le monde est en alerte rouge » .
Mais si les grandes puissances se sont engagées à prendre des mesures pour réduire leurs émissions de CO₂, l’AIE déplore déjà la trop faible part que les plans de relance consacrent aux énergies propres et indiquent que « au vu des prévisions actuelles de dépenses publiques, les émissions de CO2 sont parties pour atteindre des niveaux records en 2023 et continuer à croître les années suivantes. »
Peut-on faire confiance aux grandes entreprises pour mener la transition ?
L’éviction du PDG de Danone Emmanuel Faber ou de Paul Polman, ancien directeur général d’Unilever, sacrifiés sur l’autel du profit, nous envoie un signal clair. Les objectifs de rentabilité et de développement durable sont incompatibles. Pour Gunter Pauli, inspirateur du concept de l’économie bleue, rien de surprenant dans cette décision : « Soit l’objectif c’est la rentabilité, soit c’est la mission de l’entreprise telle que l’imaginait Emmanuel Faber. Les deux ne sont pas compatibles. »
Pour Élisabeth Laville, fondatrice d’Utopies, « être une entreprise à mission ne protège pas de la vie des affaires ». En effet, selon une étude d’HEC, les fonds spéculatifs activistes seraient deux fois plus susceptibles de cibler les entreprises socialement responsables plutôt que les autres. Ainsi un dirigeant qui affiche ses ambitions en matière de responsabilité sociale fragilise son entreprise.
Les pouvoirs publics doivent-ils jouer le rôle de régulateur ?
La transition écologique oblige les entreprises à réaliser des choix stratégiques que le marché à lui seul ne saurait orienter. Pour le militant écologiste Cyril Dion, « sans régulation publique, les actionnaires court-termistes continueront de faire passer le profit au-dessus de l'urgence sociale et climatique ».
Cela implique donc des réglementations environnementales plus strictes pour inciter les entreprises à innover, la mise en place d’indicateurs comme la « comptabilité sociale et environnementale », mais également un soutien économique (subventions) via des politiques publiques. À l’image du plan « France relance » présenté comme « une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays » qui consacre 30 milliards (soit 1/3 du plan), à la relance verte pour accélérer la conversion écologique de l’économie française. Mais pour que tout cela soit efficace selon l’étude d’HEC, les décideurs politiques doivent également protéger les entreprises des attaques des fonds spéculatifs pour leur permettre de repenser leur stratégie et de gagner du temps lorsqu’elles sont prises pour cible. Sur ce sujet, la France examine actuellement la nécessité d’abaisser le seuil de déclaration obligatoire de 5 à 3 % pour les fonds activistes.
La transition écologique, l’affaire de tous
Les réglementations environnementales sont considérées comme préjudiciables pour les entreprises. Pourtant cette opposition entre performance économique et protection de l’environnement est parfois contestée. À l’image de l’hypothèse de Michael Porter (Professeur de management stratégique à l’Université Harvard) qui stipule que « des exigences réglementaires fortes sur le plan de l’environnement obligent les entreprises à modifier les processus de production et engendrent in fine des gains de productivité et donc une augmentation des profits. »
Et les exemples qui vont dans ce sens ne manquent pas, à l’image de l’entreprise Interface, qui a réduit son empreinte carbone de 60 % au niveau mondial, de Grain de Sail, qui a baptisé en octobre 2020 le premier voilier cargo pour aller chercher du café et du chocolat à l’autre bout du monde en limitant au maximum ses émissions de CO₂ ou encore de Pyratex qui a reçu le prix Horizon 2020 de l’Union Européenne.
La régulation par les pouvoirs publics liée à la volonté des entreprises sera-t-elle suffisante pour éviter le chaos apocalyptique que nous annonce le GIEC ? Pour Gunter Pauli il faut aller encore plus loin, car in fine, selon celui que l’on surnomme le Steve Jobs du développement durable « ce sont nos usages qui changeront l’économie, plus que les entreprises. »
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